Jean Schatz
24 March 2022
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“Cette charmante construction complète si bien l’histoire de ce temps où le roi, la noblesse et la bourgeoisie luttaient de grâce, d’élégance et de richesse dans la construction de leurs demeures”, écrit Balzac à propos du Manoir d’Ango. L’histoire commence en 1522. Cortès envoie à la cour de Charles Quint le trésor du dernier empereur aztèque. Un des capitaines de l’armateur Jehan Ango intercepte les caravelles du conquistador et le trésor prend la route de la Normandie. L’armateur dieppois, devenu l’un des hommes les plus riches de France, confie à des architectes italiens la construction d’un manoir sur les hauteurs de Varengeville-sur-Mer. Il commerce de longue date avec ce pays et plusieurs de ses capitaines en sont originaires. C’est le cas de Giovanni da Verrazzano, découvreur du site qui deviendra New York. On raconte d’ailleurs qu’un galet de la côte normande repose dans les fondations du port américain.
Gravure du Manoir d'Ango de 1842. © DR
La Renaissance italienne imprègne le Manoir d’Ango, seul représentant de cette esthétique en Normandie. La demeure de l’armateur refuse pourtant de se laisser enfermer dans un style. Les tours de défense qui enserrent le portail soufflent que le Moyen Âge se termine à peine. Du sommet, l’armateur peut surveiller sa flotte. Dans leur ombre dissuasive se déploie une loggia, galerie couverte prisée par l’architecture italienne. Jehan Ango y accueille son protecteur, François Ier. Trois portes en pierre jaune de Toscane s’ouvrent dans la façade. Éclat de soleil dans la pierre grise. Construites à Florence, elles traversent l’Europe jusqu’à la côte normande. Rien ne serait possible sans Éole, dieu du vent cher aux marins. Un médaillon à son effigie domine la cour du manoir, à l’opposé du colombier. Construit en 1532, celui-ci est alors le plus grand de France. Il peut accueillir 3200 pigeons, utilisés entre autres pour correspondre avec les équipages partis en mer. Le toit en bulbe reflète l’influence byzantine. La France et l’Empire ottoman de Soliman le Magnifique sont alors alliés.
Le Manoir d'Ango. © DR
Contraste. Les courbes du colombier tranchent avec les angles de la cour du manoir. Style du pays cauchois, trait d’union entre l’Italie et l’Orient. Une marqueterie minérale polychrome court sur les murs du manoir et du colombier, mosaïque de brique, de silex des falaises et de grès des carrières côtières.
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L’histoire réserve au manoir un destin aussi mouvementé que ses influences architecturales. Pillé et incendié à la révolution, il se transforme en exploitation agricole et même en restaurant au fil des siècles. André Breton s’y installe pour rédiger Nadja en 1927, accompagné de Prévert et d’Aragon. Varengeville accueille les artistes. Georges Braque dessine les vitraux de l’église dont le cimetière semble se jeter dans la mer. Debussy, Cocteau et Calder posent aussi leurs valises à Varengeville.
Le Manoir d’Ango appartient depuis 1928 à la famille Hugot-Gratry. On y retrouvera cet été le festival de musique “Concerts Passion“, emmené par les interprétations bouleversantes de la pianiste Roberte Mamou.
Nature et culture. Normandie. Varengeville-sur-Mer donne ses lettres de noblesse à ce pays que Jules Barbey d’Aurevilly décrivait comme “fièrement beau, sombre, grand et idéal”.
Adresse
Le Manoir d’Ango
Route de la Cayenne
76119 Varengeville-sur-Mer, France
Horaire
Le samedi & le dimanche : 10h – 12h30 & 14h 18h
Téléphone
+ 32 2 35 83 61 56
Site
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