Solange Berger
17 March 2025
Actuellement le plus haut gratte-ciel en bois du monde se trouve au bord d’un lac à Brumunddal, une petite ville norvégienne à une centaine de kilomètres au nord d’Oslo. La tour Mjøstårnet, haute de 85,5 mètres et construite entièrement en bois, compte dix-huit étages et abrite des logements privés, des espaces de bureau et un hôtel.
Une hauteur qui sera largement dépassée par le projet, approuvé en novembre 2023, d’une tour de 190 mètres, à Perth, en Australie. Conçu par le bureau d’architecture australien Fraser & Partners, le projet baptisé C6, du nom de son emplacement au 6 Charles Street, prévoit cinquante étages pour 190 mètres de haut, et offrira 200 unités résidentielles, un espace de détente et de restauration, ainsi que 500 m² de jardins comestibles et floraux sur le toit. Le bois lamellé-croisé CLT (Cross Laminated Timber) et le bois lamellé-collé (BLC) seront utilisés pour les poutres, les menuiseries, les poteaux et autres éléments, à hauteur de 42% de l’ensemble des matériaux du projet. Les quelque 24 280 mètres carrés de bois nécessaires à la construction seront issus de 580 pins de forêts durables, précise le bureau. La construction devrait nécessiter environ 45 % de béton de moins qu’un bâtiment traditionnel de taille similaire.
Construite en épicéa issu de forêts durables, la plus haute tour en bois du monde, Mjøstårnet, en Norvège, abrite un hôtel, des bureaux et des appartements. Son ossature en bois lamellé-croisé réduit son empreinte carbone, prouvant que hauteur et durabilité peuvent aller de pair. © Ricardo Foto, Voll Arkitekter
Le gratte-ciel C6 de Perth s’élèvera bientôt sur cinquante étages devenant le plus haut du monde. Sa structure en pin issu de forêts durables nécessitera 580 arbres. © Courtesy of Grange Development
En plus d’être un exploit architectural, il agira comme un puits de carbone, compensant l’empreinte écologique du béton et de l’acier. © Courtesy of Grange Development
D’autres envisagent d’aller encore plus haut ! L’entreprise forestière Sumitomo Forestry ambitionne ainsi, pour ses 350 ans, de réaliser une tour de 347 mètres en bois à Tokyo. Composé de 70 étages, le bâtiment W350 abritera un hôtel, des appartements, des bureaux et des magasins. La structure est prévue en poteaux-poutres de lamellé-collé et sera mixte, bois et acier. Le projet, qui devrait être réalisé pour 2041, prévoit l’emploi de 185 000 m³ de bois.
En Europe, le premier gratte-ciel habitable en bois a été bâti dans le quartier Massena-Bruneseau, une zone en plein développement à la frontière entre Paris et les quais d’Ivry-sur-Seine. Imaginée par le cabinet d’architecture LAN, la tour Wood up, haute de 50 mètres pour dix-sept étages, comprend un socle commercial, 132 logements et des espaces communs pour les habitants, tous reliés par un parcours extérieur.
Avec ses cinquante mètres de hauteur, la tour parisienne Wood Up est l’un des premiers exemples de bâtiment vertical à structure bois en Europe. © Julien Lanoo pour LAN
© Julien Lanoo pour LAN
Chez nous, c’est à Anvers qu’est en construction le premier gratte-ciel en bois de Belgique, avec une structure hybride acier, béton et bois. Designée par l’architecte japonais Shigeru Ban, en collaboration avec Bureau Bouwtechniek, pour le promoteur immobilier Triple Living, la tour résidentielle Nieuw Zuid fera 80 mètres de haut et comptera vingt-cinq étages. Elle sera jointe à un bâtiment de six étages. L’ensemble offrira 295 nouveaux logements. La fin des travaux est prévue en principe pour la mi-2026.
La construction et l’entretien des bâtiments représentent 40 % de la consommation énergétique mondiale et un tiers des émissions de gaz à effet de serre. Cela explique l’essor récent du bois, plus respectueux de l’environnement. © Triple Living
La tour Brunfaut, située à Molenbeek-Saint-Jean, offre une réponse urbaine complète et de qualité, avec maintien de la structure existante et adjonction d’un système constructif ingénieux. © Dethier Architecture
Parmi les projets urbains intéressants, on peut également citer la restauration de la tour Brunfaut, primée lors des derniers Belgian Timber Awards 2024. “Cet immeuble est intéressant car le bois a pu exprimer pleinement ses atouts en matière de légèreté, de solidité, de performances thermiques et structurales. Il n’aurait sans doute pas été possible d’ajouter cinq étages à cette tour si le bois n’avait pas existé”, note Hugues Frère, directeur de Hout Info Bois.
Considéré comme le matériau de construction du futur, le CLT est une formule hybride qui sera utilisée par l’architecte japonais Shigeru Ban pour la tour Nieuw Zuid dans le quartier résidentiel durable d’Anvers. © Triple Living
Et quand on lui demande quelle serait la limite de la construction bois, il répond : “Quelle est la limite d’une construction en béton ? Il n’y en a pas vraiment mais, à un moment donné, la démesure sert moins le matériau que l’égo du propriétaire ou celui de son portefeuille… Il est important de construire beaucoup en bois, mais pas nécessairement très grand. Tous les immeubles belges existant aujourd’hui peuvent être réalisés en bois. Cela dit, pour des raisons techniques ou pratiques, on peut associer au bois d’autres matériaux.”
La tour d’habitation de 80 mètres de haut, un projet du promoteur immobilier Triple Living, sera érigée en vingt-quatre mois par la société belge WoodShapers. © Triple Living
Le bois, malgré ses nombreux avantages, ne représente que 10 % de la construction résidentielle en Belgique. Le point avec Hugues Frère, directeur de Hout Info Bois, le centre national d’information technique sur le bois et ses applications.
L’Éventail – Pourquoi construire en bois ?
Hugues Frère – La construction en bois peut aisément répondre aux exigences en matière énergétique, en termes d’isolation par exemple. C’est une construction essentiellement préfabriquée qui permet de ne pas subir les aléas météorologiques lors de la phase de chantier et est rapide à mettre en œuvre, ce qui évite ou raccourcit les périodes de doubles loyers. Pour ces raisons, mais également pour des préoccupations environnementales, les Belges aiment construire en bois. Mais cela pourrait – devrait – être encore plus le cas. En outre, la qualité des constructions en bois est assez exceptionnelle chez nous. Même comparée à celle des pays limitrophes ou ceux qui ont une tradition constructive en bois, comme le Canada ou les pays scandinaves.
– Quelle est l’évolution du marché de la construction bois en Belgique ?
– Le marché du résidentiel en bois a plutôt tendance à stagner. Le nombre de nouvelles habitations en bois privées unifamiliales est d’environ 2200 à 2500 unités par an sur un total (tous matériaux confondus) de l’ordre de 25 000 unités. C’est difficilement compréhensible, car la préoccupation environnementale est réelle. Beaucoup de ménages souhaitent lutter contre le réchauffement climatique. Un des leviers pour ce faire serait tout simplement d’avoir recours au bois. Pourtant, ce souhait ne se ressent pas dans une prise de décision proactive de construire en bois. Il s’agit pourtant du seul matériau perpétuellement renouvelable, naturel, recyclable, réutilisable et qui stocke le carbone atmosphérique que l’arbre a accumulé au cours de sa croissance.
– On constate même un ralentissement…
– Je n’ai pas encore des précisions à ce sujet mais, en effet, je pressens un ralentissement. Depuis une grosse année, on observe effectivement un affaiblissement important de la construction en général. C’est lié à l’augmentation des taux d’intérêt et à l’augmentation du prix des matériaux de construction qui se sont envolés durant la période du Covid. Le bois n’a pas été l’exception, il a entamé et suivi cette tendance. Par contre, c’est l’un des rares matériaux qui est redescendu à des prix équivalents voire inférieurs à ceux d’avant le Covid.
– Quels types de bois utilise-t-on principalement chez nous ?
– Il s’agit essentiellement de résineux (épicéa, pin sylvestre, Douglas, mélèze). Ils offrent le meilleur rapport prix/propriétés mécaniques. Ce sont également des arbres dont la croissance est rapide (70 ans contre 200 à 250 ans pour un feuillu comme le chêne ou le hêtre) et ils sont naturellement très droits. Ils permettent ainsi d’avoir un bon rendement au sciage.
– S’agit-il de bois locaux ?
– Oui, mais la définition de local est très relative. La Belgique peut fournir la moitié des bois que nous consommons. Nous ne pouvons pas nous passer de l’importation. Mais celle-ci reste locale à l’échelle mondiale, car européenne. En effet, la majorité des bois que nous utilisons (près de 90 %) provient d’Europe où la forêt n’a jamais été aussi abondante et ne cesse de croître en superficie. Notre consommation n’a donc, sur le plan mondial, aucun effet sur la déforestation qui a lieu principalement sous les tropiques, et pour des raisons différentes – croissance démographique, besoin de terres, technique du brûlis largement répandue, besoin en bois pour le feu de cuisson… Il existe même en Wallonie, et bientôt en Flandre, un label “Bois local” qui garantit que le bois a été prélevé et transformé dans un rayon qui n’excède pas les 200 kilomètres. Ce label encourage l’emploi local, les circuits courts et la matière première locale.
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