Agnès Zamboni
16 October 2024
La première partie de l’exposition Here Were Are ! Women in design 1900-today, créée à Weil am Rhein par le Vitra Design Museum, a quitté l’Allemagne en 2022. Elle a ensuite voyagé de Rotterdam à Vienne, en passant par Barcelone… Avec l’ambition de rendre visibles les femmes designers, elle retrace, à la façon d’une grande fresque rétrospective, leur histoire internationale ! Du Bauhaus aux jeunes créatrices actuelles comme Julia Lohmann ou Christien Meindertsma, en passant par de grandes figures, notamment Charlotte Perriand et Eileen Gray, ou encore les personnalités incontournables des années 1980-1990 dont Matali Crasset. “Dans l’univers du design, il ne faut pas oublier que Charlotte Perriand ou Anna Castelli Ferrieri, reconnues à leur époque, faisaient figure d’exceptions”, souligne Arnaud Bozzini, directeur du Design Museum de Bruxelles qui a consacré un espace de 1000 m2 à cet événement de grande ampleur. La présentation chronologique regroupe des pièces anciennes, des documents et des vidéos attestant de l’omniprésence des femmes dans le domaine du design depuis le début du XXe siècle.
Vues de l’exposition Here We Are ! Women in Design 1900-today. © Vitra Design Museum, Christoph Sagel, VG Bild–Kunst, Bonn, 2021
“Lorsque nous avons décidé d’accueillir l’exposition du Vitra Museum, nous avons réfléchi à l’opportunité d’ajouter des éléments belges, en suivant les exemples d’autres musées pour créer une présentation en soi, retrace Arnaud Bozzini. J’ai contacté Katarina Serulus, chercheuse et historienne du design, avec qui j’avais déjà collaboré sur le panorama du design belge et sur l’exposition Night Fever (2022).” Pour retracer Untold Stories, le second volet de cette exposition, Katarina Serulus s’est associée à deux autres commissaires, Marjan Sterckx, directrice de publication et professeure associée en histoire de l’art à l’université de Gand (UGent), et Javier Gimeno Martinez, professeur adjoint à la VU (Vrije Universiteit) Amsterdam, où il dirige la maîtrise en cultures du design. “Nous nous sommes principalement inspirés d’un projet précédent, Wiki Women Design, que j’ai initié pour l’Institut Flamand d’Architecture d’Anvers. De plus, le numéro spécial sur les femmes et le design en Belgique, publié dans le Tijdschrift voor Interieurgeschiedenis en Design, que nous avons co-édité, a joué un rôle central dans l’élaboration de cette exposition. Néanmoins, nous avons dû documenter nos conclusions, principalement à l’aide d’entretiens et de recherches dans les archives. Il n’existe pas de littérature complète sur ce sujet”, précise Katarina Serulus.
Vues de l’exposition Here We Are ! Women in Design 1900-today. © Vitra Design Museum, Christoph Sagel, VG Bild–Kunst, Bonn, 2021
Untold Stories est construite autour de quatre thèmes ! Visibilité, Invisibilité, Professionnalisation et Artisanat. La scénographie a été développée par l’équipe interne du Design Museum Brussels en collaboration avec la graphiste Esther Le Roy. Ce deuxième volet de l’exposition, qui dure six mois, est une grande première, occupant l’espace public de la loggia du musée bruxellois avec 120 pièces et archives. Certains documents très fragiles sont présentés dans des boîtes que les visiteurs pourront ouvrir afin de les découvrir. Les grandes pièces textiles sont, elles aussi, protégées. La plupart des documents proviennent du centre d’archives du Design Museum de Bruxelles. D’autres ont été prêtés par des collectionneurs privés ou des musées. “Nous avons voulu plonger le visiteur dans l’ambiance des classes de l’ENSAV, l’école de La Cambre, ou de Bischoffsheim, avec de grands muraux façon papier peint. Cette exposition est la première pierre d’un édifice que nous allons continuer à construire avec d’autres projets”, révèle Arnaud Bozzini.
La céramiste Lutgart De Meyer dans son atelier sur la Hoogstraat à Anvers, en 1955. © Paul Ausloos
“Avant la Seconde Guerre mondiale, les premières designers sont, le plus souvent, comme dans le monde entier, ‘femmes de’ – Marie Wabbes ou la femme de Louis-Herman De Koninck. Profils nationaux restés dans l’ombre, elles travaillent aux côtés de leur époux mais ne sont pas citées dans les documents officiels.” L’exposition met en cause le problème de la double journée des femmes, généralement assignées aux travaux ménagers, aux tâches domestiques, à la charge des enfants et de la famille. C’était aussi un frein pour faire connaître leurs créations. Manque de temps et de confiance en soi, mais certainement pas manque de talent où d’à-propos car elles connaissent parfaitement le terrain et ont souvent créé pour leur propre usage, dans le cadre de la sphère privée.
“Mais les créatrices ont aussi fréquenté des écoles comme l’Institut Bischoffsheim (la première école professionnelle pour femmes en Belgique, fondée en 1865), les académies, qui ont progressivement accueilli des
étudiantes à partir de la fin des années 1880, et La Cambre (fondée en 1927 par Henry Van de Velde), devenue un vivier important pour la première génération de femmes créatrices modernistes”, indique Katarina Serulus. Les femmes designers ont considérablement influencé la création. Elles ont apporté leur sensibilité, leur esprit pratique et fonctionnel à l’amélioration du quotidien.
Photo de classe avec Martha Van Coppenolle, Technisch Instituut Sint-Maria à Anvers, vers 1930. © Collection City of Antwerp, Letterenhuis
Claire Bataille et Paul Ibens, vers 1968. © Paul Ausloos
Certaines d’entre elles travaillaient pour des marques spécifiques ou de grandes entreprises de design. Leur nom n’était donc pas cité… comme dans le cas des “nombreuses dentellières belges ou des femmes anonymes qui réalisaient les décors colorés de la vaisselle en céramique de la manufacture de Saint-Ghislain, faïencerie créée en 1881, mentionne Katarina Serulus. Avoir un mari architecte est, par exemple, le cas de Maria Sèthe et d’Elisabeth Van Hoegaerden, respectivement liées à Henry Van de Velde et à Louis-Herman De Koninck. Dans les deux cas, leur travail ne reflète pas nécessairement celui de leur mari, mais il a contribué de manière créative à construire une partie de leur carrière”.
Katarina Serulus explique aussi que certaines femmes ont su très tôt comment générer de la visibilité pour leurs créations. Ainsi, Clara Voortman-Dobbelaere, issue de la bourgeoisie libérale gantoise, signait son œuvre. “À la Belle Époque, les ‘expositions de femmes’ voient le jour. Cela correspond à la première vague du féminisme, où les femmes étaient progressivement admises dans l’enseignement supérieur (artistique), tant en Belgique que dans les pays voisins.” Diverses initiatives ont également coïncidé avec l’Année internationale de la femme, en 1975. Il faut aussi préciser que le design, plus particulièrement le graphisme, a parfois été utilisé comme une forme d’activisme et d’autonomisation par des femmes. On songe à Hélène Denis-Bohy, Danielle Siongers, Anne Delcoigne et Nicole van Goethe….
“L’exposition comprend aussi des exemples de travaux réalisés au Congo, démontrant comment les relations coloniales ont également influencé le travail des femmes. Ainsi le travail de Sylvie Feron. Pendant l’entre-deux-guerres, elle a travaillé à l’Atelier Pomone, le studio de design du grand magasin parisien Le Bon Marché. Avec son mari, le Français René Baucher, elle a fondé son propre studio de design, à Paris, en 1925. Le couple va s’installer ensuite à Bruxelles et ouvrir la jolie boutique Baucher-Feron sur l’avenue Louise”, conclut Katarina Serulus.
Photo de couverture : Vue de l’exposition Here We Are ! Women in Design 1900-today. © Vitra Design Museum, Christoph Sagel, VG Bild-Kunst, Bonn, 2021
Expositions
Here Were Are ! Women in design 1900-today
Untold stories – Designers femmes en Belgique 1880-1980
Dates
Du 16 octobre 2024 au 9 mars 2024 et le 13 avril 2025
Adresse
Design Museum Brussels
Place de Belgique
1020 Bruxelles
Horaire
Du lundi au dimanche 11h00 > 19h00
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