Corinne Le Brun
04 September 2019
Eventail.be - Gare à Lou ! est né dans un train...
Jean Teulé - Un soir, je prends le train de 20 heures au lieu de celui de 18 heures. Un contrôleur demande à voir mon billet et me colle une amende. Au moment où il se retourne, je lui dis : regardez-moi bien. Je vous souhaite un grand malheur pour bientôt. Si ça vous arrive, souvenez-vous de moi. Cela l'avait déstabilisé mais j'avais trouvé mon histoire. Celle de Lou, une petite fille qui a des super pouvoirs quand elle veut faire du mal à quelqu'un. L'histoire s'est construite à toute vitesse dans ma tête, à bord du train. Une semaine après, je commençais à écrire le livre. Ce n'est pas mon habitude. Le livre s'installait par lui-même, il décidait de tout. En fait, j'ai fait un boulot de dactylo. Lou avait un pouvoir sur moi. Je n'ai plus jamais retrouvé le contrôleur. J'espère qu'il ne va pas me réclamer des droits d'auteur.
- Lou a douze ans. Un enfant peut-il avoir de tels pouvoirs sur les autres ?
- Un enfant a plus de pouvoir qu'un adulte. Lou agit avec une fraîcheur d'enfance. Cela se sait très vite dans la région. À tel point que le président de la République décide de l'utiliser comme une arme de destruction contre tous les ennemis du pays. Sauf que Lou souhaite des choses qu'on ambitionne à 12 ans. Et cela fout le bazar. Mais la guerre c'est sérieux. Elle rentre dans l'adolescence, elle attrape un caractère de cochon et les trois chefs de guerre qui étaient censés s'occuper d'elle regrettent le bon temps de la bombe atomique qui était autrement plus facile à manier que cette petite Lou qui était absolument ingérable.
© Éd. Julliard |
- Kidnappée par l'Etat, Lou est enlevée à sa maman. Vous abordez également la relation mère-fille.
- Quand je vais en province dans les salons du livre, j'aime parler aux gens. Je rencontre des femmes qui sont seules à élever leur enfant. Elles n'y arrivent pas, par manque d'argent. Souvent, elles se sacrifient d'un repas, elles ne peuvent s'acheter d'habits. En France, les femmes qui vivent dans la misère sont plus nombreuses que les hommes, surtout au moment de la retraite. Roberte, la maman de Lou, ne voit plus sa fille. Son chagrin ne pèse pas bien lourd face à la raison d'Etat.... J'avais envie qu'il y ait ça dans le livre.
- Vous avez délaissé vos activités de réalisateur, d'auteur de BD, de théâtre... pour quelles raisons ?
- Je refuse tout ce qu'on me propose de faire. Je veux me mêler de rien. Quand mes romans sont adaptés au théâtre, au cinéma, en BD même en opéra... Je ne veux rien savoir. L'œuvre appartient à ceux qui ont acheté les droits. Ils font ce qu'ils veulent. Des gens pourraient me donner des ordres et je déteste cela. J'ai la chance de vivre rien qu'en racontant des histoires aux gens et personne ne me donne d'ordre. Je fais ce que je veux, je n'ai pas réveil. Et j'en vis très confortablement. C'est le plus beau métier du monde dans ces conditions.
L'été littéraire des Deux Magots, édition 2019 dédiée à Boris Vian © Marc Ausset Lacroix/Bestimage/Bestimage/Photo News |
- Vous n'abandonnez pas le dessin...
- J'ai besoin d'images. C'est facile de les mettre dans mes livres. Gare à Lou commence par un dessin : le Periophthalmus barbarus, un poisson qui existe vraiment ! Je mets systématiquement des images dans mes romans, elles donnent une respiration au récit. Enfant, j'aimais beaucoup les illustrations de Jules Verne.
- Quels sont vos livres d'été ?
- Je ne lis presque jamais de romans. Je préfère des livres d'histoire, scientifiques, pour apprendre des choses. J'ai été un très mauvais élève à l'école. Je me suis dit que j'allais essayer de rattraper tout ça. J'ai dû lire 40 romans dans ma vie. Ce n'est pas beaucoup. J'ai dévoré L'écume des jours de Boris Vian quand j'avais 15 ans. Cela a été le choc littéraire. Ce n'est pas un livre, c'est une porte. On rentre et ça ouvre le monde. Enfant, je lisais Sans famille d'Hector Malot, les histoires de Jules Verne, les livres de la bibliothèque verte, des bandes dessinées.
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Illustration de "20 000 lieux sous les mers" de Jules Verne © DR |
Récemment, j'ai lu La vie secrète des arbres (de Peter Wohlleben , Ed. Arènes, 2017) ou comment les arbres communiquent entre eux. J'achète des livres pour connaître le monde des petits animaux à la campagne, dans les étangs. Pour moi l'été c'est la nature. Dans ma maison en Bretagne, construite au moment Shakespeare écrivait Hamlet, les murs sont en pierre sèche, sans ciment. Au printemps, tous les oiseaux viennent entre les pierres pour nidifier. J'entends des «cui-cui», des «tiou-tiou-tiou-tiou-ti-ti-tiou» ... J'adore ça.
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