Christophe Vachaudez
03 February 2022
Des cités fortifiées de l’est aux plages sauvages de l’ouest, cette région médiane et moins connue s’étire de l’Atlantique à la frontière espagnole, avec le cours du Tage en frontière septentrionale, et d’immenses champs d’olivier, au sud, qui le séparent de l’Algarve. Proclamée patrimoine mondial de l’Unesco en 1986, Évora s’impose comme chef-lieu, avec seulement 50 000 habitants. Modeste en taille, elle conserve pourtant un héritage culturel de premier plan aussi curieux que varié, à commencer par les vestiges d’un temple romain dédié à Diane, édifié au IIe siècle de notre ère, qui trône sur l’esplanade du haut de la ville. Ses colonnes de granit aux chapiteaux corinthiens en marbre d’Estremoz défient le temps et symbolisent aujourd’hui Évora.
De cet épicentre dévalent quantité de rues pittoresques aux noms étranges, comme celle du Tailleur de la Comtesse, sans parler de l’impasse du Mal-Rasé ou de la place du Seigneur des Tremblements de terre ! Peu à peu, un bâti chaulé a colonisé ce promontoire encore ceint en partie de murailles invulnérables. Des demeures patriciennes, des palais et bien entendu des églises ont enjolivé l’ensemble dominé par la silhouette massive de la cathédrale-forteresse dont la construction débuta à la fin du XIIe siècle. Des contreforts et un toit crénelé renforcent cette impression qui s’estompe pourtant à l’intérieur, où le style baroque s’est emparé des retables du chœur dont les dorures resplendissent dans la pénombre. Les grands jours, un organiste fait vibrer les tubes d’un des plus vieux orgues d’Europe, puisque celui de la cathédrale date de 1559 ! Une balade sur les toits de granit, aux balustrades sommées de pots-à-feu, offre un face-à-face étonnant avec la tour lanterne, si proche du couvrement pyramidal de la cuisine de l’abbaye française de Fontevraud, une révélation ! À ne pas manquer, les points d’orgue du trésor : une statue gothique en ivoire figurant une vierge dont le manteau s’ouvre pour révéler neuf scènes sculptées de sa vie, et le reliquaire de Santo Lenho dont les 1426 pierres précieuses forment un écrin rutilant à un fragment de la vraie croix.
Le reliquaire de San Lenho, chef d'œuvre du trésor de la cathédrale d'Évora. © DR
Autre attraction d’Évora, un peu macabre il faut bien l’avouer, la chapelle ossuaire de l’église São Francisco. Grâce à plus de 5000 squelettes patiemment exhumés des cimetières des environs, les moines ont patiemment décoré ce lieu de guirlandes de crânes ou de colonnes de tibias. Le sanctuaire accueille les visiteurs par cette charmante phrase : “Nous, les os qui sommes ici, attendons les vôtres”. Plus avenants, les autres édifices religieux aux murs habillés d’azulejos marient joliment le bois passionnément doré à la céramique bleue et blanche, des harmonies dont le Portugal a le secret.
Contrairement aux églises typiques de l’Alentejo, harmonie de bois doré et d’azulejos, le choeur de la cathédrale a été habillé de marbres. © DR
Au nord de la capitale de l’Alentejo, sa petite sœur, Evoramonte réserve un panorama à couper le souffle depuis la terrasse jouxtant son robuste donjon. Ses quatre tours au destin scellé par de puissants cordons de pierre ont longtemps guetté les mouvements suspects. Au hasard de cette campagne, on a dénombré près de 150 sites mégalithiques dont le Comeleque dos Almendres, un ensemble de 95 monolithes de granit dressés esquissant une enceinte ovale.
Deux cigognes noires. © DR
Encore plus au nord, on atteint la vallée du Tage, le plus long fleuve de la péninsule ibérique qui se jette dans l’océan à Lisbonne. À hauteur de Gavião, en contrebas du château de Belver, et non loin de la plage d’Alamal, on peut fendre ses flots en kayak ou en bateau, à la découverte des colonies de cigognes noires et de vautours fauves (ou griffons) qui planent avec majesté, déployant leur 2,60 mètres d’envergure ! La vaste plaine alentejane n’est plus qu’un souvenir à l’approche des contreforts granitiques séparant l’Espagne du Portugal. Première bourgade à la lisière du parc de la Serra de São Mamede, Castelo de Vide agglutine ses toits orangés au pied de sa forteresse qui enclot quelques allées médiévales au pavage chaotique. D’abruptes ruelles dégringolent vers le cœur de l’ancienne cité thermale, non sans passer par le quartier juif et son ancienne synagogue.
Il ne faut pas longtemps pour pénétrer le cadre verdoyant d’une des trente réserves naturelles du pays, nommée d’après le pic de Sâo Mamede qui culmine à 1027 mètres. Ici, cerisiers et amandiers, chênes, sapins et eucalyptus, se sont accoutumés aux étés brûlants et aux hivers doux, conséquences d’une rencontre, celle des climats méditerranéen et atlantique. Près de 32 000 hectares d’attrayants bosquets et de prairies closes de murs empierrés, refuge du lézard émeraude ibérique. Parmi les animaux rares, citons le crapaud sage-femme ou l’aigle de Bonelli, sans compter les 800 espèces végétales en présence !
Élu plus beau village du Portugal en 2017, le village perché de Marvâo attire nombre de touristes. © DR
Perle du parc, le village perché de Marvão tirerait son nom du vizir de Coïmbra, Ibn Marwan, qui lui a donné une importance stratégique au IXe siècle. Il est vrai que par temps clair, on aperçoit l’Estrémadure espagnole et la serra de Estrela. Véritable sentinelle, ce nid d’aigle emmuraillé tutoie les nuages, tandis que ses rues pentues épousent les inflexions de la roche. Près de la porte fortifiée, un petit escalier conduit à l’antique citerne, sorte de tonneau géant dont les voûtes se reflètent dans l’eau transparente.
Bel exemple de fortification militaire, les forts d'Elvas ne furent pris qu'une seule fois. © DR
La frontière n’est pas loin et, en la longeant, on parvient à Campo Maïor, une bourgade fortifiée qui s’anime en septembre, tous les quatre ans, pour la Saint-Jean-Baptiste. Des milliers de guirlandes pavoisent alors les rues de corolles en papier coloré pour la mémorable fête des fleurs. Bien moins gaie, la sinistre explosion d’une poudrière en 1732, a donné naissance à une chapelle tapissée des ossements des 1500 cadavres, entre recueillement et épouvante !
Autre cité défensive de la région, Elvas s’impose comme un véritable parangon d’architecture militaire, verrou imprenable qui ne céda qu’une seule fois, en 1580, face aux troupes de Philippe II. Un joyeux désordre règne au cœur de ce polygone irrégulier dont on peut parcourir les bastions lors d’une glorieuse promenade des remparts. Au hasard d’un lacis de ruelles fleuries, un pilori de style manuélin se dresse au beau milieu de la placette de Santa Clara. Il est l’un des seuls à avoir conservé ses crochets à tête de dragons auxquels on suspendait les criminels jusqu’à ce que mort s’ensuive. En dehors d’Elvas, l’aqueduc, avec ses 12 kilomètres et ses 40 mètres de hauteur ne passe pas inaperçu. Commencé en 1527 pour solutionner des pénuries d’eau, il ne fut achevé qu’en 1622. Surplombant le tout, le fort étoilé de Sainte-Lucie est un chef-d’œuvre du genre avec ses fossés, ses escarpes, ses contre-gardes, ses demi-lunes et ses canonnières elliptiques.
Le palais des ducs de Bragance, joyau de la bourgade de Vila Viçosa. © DR
Cap maintenant vers les trois cités du marbre, à savoir Borba, Vila Viçosa et Estremoz. Liée à la maison de Bragance, la deuxième conserve un merveilleux palais dont la façade principale, de style palladien, court sur près de 110 mètres. L’édifice sortit de terre à partir de 1501 et n’a cessé d’être habité jusqu’à la chute de la monarchie portugaise. Les salons aux plafonds boisés regorgent d’objets d’art et de souvenirs touchants. Sur la place, la statue équestre de João IV, huitième duc de Bragance, préside aux destinées de la bourgade aux vingt-deux églises. Précédées de carrières au dénivelé vertigineux, la troisième se laisse découvrir au fil d’un plaisant dédale de rues étroites, à l’abri de l’intimidant château-fort.
Les envolées célestes spectaculaires de la plaine d'Alentejo. © DR
Au sud, le fleuve Guadiana qui délimite la frontière avec l’Espagne sort de son lit pour former, avec ses 250 km², le plus grand lac artificiel d’Europe. Un barrage construit en 1998 est responsable de ce changement drastique qui attire désormais nombre d’adeptes des sports nautiques. Mais ce n’est pas le seul attrait de la région qui dispose du fameux observatoire d’Alqueva. Sis dans une ancienne école désaffectée, il fait partie des destinations Starlight, sorte de visa accordé aux sites peu pollués qui permettent une visibilité optimale du système stellaire. Les envolées célestes sont ici parmi les plus spectaculaires d’Europe. On peut aussi les observer, mais sans lunettes cette fois, de la citadelle de Monsaraz, élue plus joli village du Portugal en 2017. Ses maisons immaculées bordent la grand-rue menant de l’entrée fortifiée au château médiéval. Vue imprenable et atmosphère infiniment reposante pour cette halte obligée de l’Alentejo.
Champs de lupin au milieu des oliviers. © DR
Plus au sud, un haut donjon crénelé annonce l’antique Béja, capitale de la Planicie Dourada, comprenez la plaine dorée, car, à perte de vue, oliviers et chênes-lièges façonnent le paysage de leurs frondaisons centenaires. Les uns génèrent cette huile fruitée, l’une des meilleures au monde, les autres, dépouillés de leur écorce tous les dix ans, fournissent cette matière prisée des architectes et des vignerons qui font croître leurs ceps au soleil de l’Alentejo. Et si on trouve à Béja la plus grande collection d’objets de l’époque wisigothique ou encore un retable en bois sculpté figurant un arbre de Jessé dans l’église Santa Maria da Feira, les alentours réservent quelques surprises comme les splendides fresques médiévales du monastère de São Cucufate ou le Saut du loup, quand soudain, le Guadiana prend des allures de torrent, et cascade entre des gorges de schiste et la ville de Serpa, dont les fortifications intactes et l’aqueduc du XIe siècle toisent avec morgue les nouveaux arrivants. Pourtant, une fois les poternes franchies, ses terrasses hospitalières encouragent à la halte.
Photo de couverture : Une vue du village fortifié de Monsaraz. © Frédéric Ducout
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