Rédaction
20 February 2017
Déroutant : c'est le terme qui à mon sens s'applique le mieux aux choix du jury de cette 67e Berlinale. Bien sûr, tous les palmarès des festivals suscitent plus ou moins la controverse. Dans le cas présent, les décisions du président Paul Verhoeven et de ses acolytes n'ont rien de scandaleux. Mais nous sommes nombreux à penser que le choix final relève d'un compromis laborieux. Deux films se détachaient à l'évidence de la sélection : The Other Side of Hope (L'autre côté de l'espoir) du Finlandais Aki Kaurismäki ; et On the Beach at Night Alone du Coréen Hong Sangsoo (retrouvez les chroniques relatives à ces deux films ici). A-t-on reculé à l'idée de couronner Kaurismäki, alors que ses œuvres précédentes ont déjà glané de nombreuses récompenses dans d'autres manifestations ? Ce serait un raisonnement idiot. Quand le talent s'impose ainsi sur le grand écran, il n'y a pas de honte à le saluer une nouvelle fois. Le fondateur de l'éphémère groupe rock Leningrad Cowboys a eu droit finalement au Prix de la meilleure mise en scène, ce qui a du moins le mérite de rappeler que derrière l'apparente simplicité de ses images, il y a un art très raffiné de la couleur et des cadrages. Et puis, comme je l'ai noté précédemment, The Other Side of Hope traite un sujet rebattu (les demandeurs d'asile) sans jamais tomber dans la démagogie ni dans le militantisme. Il s'en dégage une vraie leçon d'humanité. Notez déjà que la sortie en Belgique est prévue pour le 22 mars.
The Other Side of Hope, d'Aki Kaurismäki © Sputnik Oy |
Quant au long métrage coréen, c'est sa jeune actrice Kim Minhee qui se voit distinguée pour son interprétation. J'ai rarement vu à l'écran une prestation d'une telle intensité. Il y a vers la fin du film une longue scène de repas (où la bière et le Soju – l'alcool national – coulent à flots, comme il se doit) au cours de laquelle la comédienne passe en un instant de l'invective à la tendresse, et de la rage aux embrassades, avec une aisance absolument sidérante. Pendant le festival, j'ai appris incidemment d'un confère coréen que Kim Minhee avait fait scandale dans son pays natal pour avoir affiché publiquement (pendant le tournage du film précédent) sa liaison avec le metteur en scène de Seule sur la plage pendant la nuit. Voilà en tout cas un film que je suis déjà impatient de revoir.
On the Beach at Night Alone © 2017 Jeonwonsa Film Co. |
Pourquoi l'Ours d'or à On Body and Soul de Ildiko Enyedi ? Le huitième film de cette Hongroise de 61 ans ne laisse pas indifférent, même si les vingt premières minutes (qui détaillent les diverses phases du traitement des animaux dans un abattoir de Budapest) sont une épreuve pour les spectateurs sensibles. La réalisatrice nous raconte longuement une histoire d'amour qui se déroule dans cette entreprise entre deux êtres incapables d'exprimer leurs sentiments : le directeur financier et une jeune inspectrice de la qualité des produits. Finalement, avec l'aide d'une psychologue - j'ai noté qu'il y avait pas mal de psys dans les films de cette Berlinale - , les deux protagonistes découvrent qu'ils ont quelque chose en commun : ils rêvent chaque nuit des mêmes situations, et se rejoignent ainsi sous les espèces d'un cerf et d'une biche. La métaphore visuelle a un côté joliment poétique, même si je la trouve un peu simplette. Mais il y a des lourdeurs et une dose de banalité quotidienne dans la narration, qui par ailleurs débouche arbitrairement sur un happy end trop gentil pour être tout à fait crédible.
Ildikó Enyedi © Droits réservés |
Mon impression sur cette 67e Berlinale ? Peu de films asiatiques de qualité (en 2014, l'Ours d'or avait récompensé le magnifique Black Coal, Thin Ice de Diao Yi'nan). Médiocrité du cinéma français (anecdote amusante : une journaliste berlinoise a été tancée publiquement par Catherine Deneuve – qui joue dans Sage femme aux côtés de Catherine Frot – pour avoir osé suggérer que le film n'était peut-être pas un chef-d'oeuvre). Confirmation de la forte présence latino-américaine (le long métrage chilien Una mujer fantastica était un des favoris du public et de la critique). On sort quelque peu titubant de cette avalanche de projections. Et on se dit que la dizaine de jours passés dans la capitale allemande s'avère chaque fois immensément enrichissante. D'autant que la ville reste – avec Londres – la cité la plus vivante et la plus stimulante d'Europe occidentale. Et aussi - je le répète à l'intention des incrédules – une capitale gastronomique de haut niveau.
Retrouvez toutes les chroniques berlinoises de Marcel Croës ici
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