Bruno Colmant
07 November 2023
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
À ce stade, les dirigeants actuels devront décider s’ils remplaceront militairement les États-Unis (ce qui semble impossible) ou s’ils laisseront l’Ukraine dans un désarroi total, ce qui est probable. Ceux qui criaient à la guerre depuis le confort de leurs bureaux pourraient adopter une posture d’apaisement.
L’Europe risque également de dépendre du gaz américain, des importations chinoises (amplifiées par leur propre sous-capacité de production) et de voir son influence mondiale diminuer, particulièrement face à un isolationnisme américain croissant et à la montée des BRICS (Brésil, Russie Inde, Chine et Afrique du Sud, un “club” appelé à s’élargir prochainement, ndlr). L’Europe devra aussi affronter d’autres problèmes tels que les flux migratoires, la préservation des États-providence, dans un contexte de vieillissement démographique et une insatisfaction sociale grandissante.
De ce fait, il y a un risque réel que l’Europe cesse d’être un projet fédérateur, étant perçue plutôt comme une technocratie lointaine et peu transparente. Sa difficulté à formuler une vision stratégique claire pourrait la conduire vers des tendances nationalistes, qui, à mon avis, semblent inévitables. Je m’interroge aussi sur la possibilité d’une extension de l’Union européenne à trente pays (envisagée comme une réponse à l’agression russe) et si elle sera acceptée par les États membres actuels.
Il est certain que, comme le disait Victor Hugo, nous pouvons “étonner la catastrophe”. Néanmoins, cela requiert des leaders européens de calibre, capables de décisions audacieuses. Ce qui est frappant, c’est que beaucoup en arrivent à la même conclusion : nos systèmes politiques peinent à répondre aux défis actuels. Cette impasse est le fruit d’une combinaison de facteurs: l’individualisme croissant, la désintégration des liens sociaux et des groupes de réflexion, l’ampleur systémique des enjeux (comme les défis environnementaux), la résistance individuelle (et par extension collective) à modérer nos désirs, attisés par les impulsions consuméristes des réseaux sociaux, et l’incompétence apparente des leaders politiques.
Face à cette situation, les électeurs pourraient être tentés de confier les rênes à des figures autoritaires pour apaiser leurs inquiétudes. C’est ainsi que des personnalités comme Donald Trump, Giorgia Meloni et peut-être Marine Le Pen émergent. En Belgique aussi, la droitisation de certains partis est palpable. Hannah Arendt a décrit cette irrationalité dans son ouvrage de 1951, Les Origines du totalitarisme.
Il nous incombe, en tant qu’électeur, de cultiver notre discernement et notre savoir afin de ne pas externaliser nos peurs et anxiétés. Aucune entité politique ne peut remplacer la sagesse individuelle et l’intelligence collective. Car je crains que nos sociétés ne basculent vers des régimes autoritaires, avec toutes les dérives que cela implique. François Mitterrand avait raison en disant, dans son dernier dis- cours au Parlement européen, en janvier 1995 : “Le nationalisme, c’est la guerre”.