François Didisheim
27 February 2024
À côté des Awards principaux, le magazine Lobby a pris l’habitude de rendre un hommage. L’idée ici n’est pas de saluer une année exceptionnelle, comme pour les autres Lauréats, mais plutôt de saluer une personne ou une institution « pour l’ensemble de son œuvre », dirait-on dans le milieu artistique. Cet ainsi que, parfois, ce prix peut être remis à titre posthume. Le jury a d’ailleurs étudié la possibilité de consacrer Bernard de Launoit, directeur emblématique de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth et disparu l’année dernière, beaucoup trop tôt. Autre prétendant dans cette catégorie : Karen Torosyan. Chef cuisinier de Bozar et double étoilé (confirmé cette année) par le Michelin, cet arménien, né en Géorgie mais belge depuis 20 ans, possède un parcours vraiment atypique. On pourrait aussi citer Eden Hazard qui, pour sa magnifique carrière au plus haut niveau, mérite également hommage et respect, le joueur ayant décidé de prendre sa retraite. Autre “jeune” retraité, Etienne Davignon : à 90 ans, il a décidé de quitter Engie et d’enfin profiter de la vie. Enfin, le jury aurait pu aussi remettre ce prix à Guy Verhofstadt (qui quitte la vie politique), les Snuls (véritablement célébrés cette année à travers un film, des concerts, un livre, une soirée) … Une deuxième jeunesse pour cette troupe à l’humour typiquement de chez nous. Ou même, et enfin, à Jesse : 1er Lieutenant transgenre de l’armée belge.
Oui, toutes ces personnalités n’auraient pas dépareillé dans notre palmarès mais le jury a fait un autre choix. À l’unanimité, et c’est assez rare pour être signalé, c’est l’avocat Simon Gronowski qui a décroché la timbale. Un homme qui a marqué la cérémonie. Invité, comme tous les lauréats, à s’exprimer sur scène, il a appelé, avec une force admirable, à la paix entre les hommes. Lui qui a connu la Shoah, la déportation, les camps de concentration pour sa famille, n’a pas de haine en lui. Seulement un souhait : la pacification de notre monde. Que ce soit en Ukraine, au Yémen, à Gaza et dans toutes ces autres zones sinistrées par la violence des combats et des conflits. Un discours qui a été suivi d’une longue standing ovation. C’est pour ça que Simon Gronowski qui, à 92 ans, sait que le temps lui est compté, se multiplie pour porter témoignage aux jeunes. « Je dis aux jeunes de ne jamais oublier, il faut connaître les malheurs d’hier pour défendre la liberté d’aujourd’hui. » C’est donc à un passeur de mémoire que les Lobby Awards ont rendu hommage. Une mission primordiale car, et c’est le sens de la vie, les témoins de cette époque noire se font de plus en plus rare. En outre, avec l’avènement des réseaux sociaux, nos jeunes sont très facilement exposés à des thèses négationnistes et/ou complotistes. « Pour que personne n’oublie. Jamais. » est le leitmotiv de notre grand homme.
© Philip Reynaers/Photonews
Quand Simon Gronowski débarque dans une classe qui a le chahut facile, l’effet de ses paroles est impressionnant. Ce ne sont plus quelques lignes schématiques et sans âme, dans un livre d’Histoire, auxquelles les adolescent(e)s se trouvent confronté(e)s, mais à la réalité tragique et aux détails poignants d’une expérience vécue auxquels ils peuvent s’identifier. Et qui pourraient tout aussi bien servir de trame dramatique à un roman ou un film actuel. L’histoire que raconte Gronowski, c’est celle des Polonais fuyant déjà l’antisémitisme dans leur pays en 1920, d’un père mineur atteint de silicose, mais aussi d’une famille heureuse qui a su trouver sa voie en Belgique en développant un commerce de maroquinerie à Etterbeek. Jusqu’à ce que la guerre éclate.
© Philip Reynaers/Photonews
Dénoncés par « on ne sait qui » , Simon (11 ans), sa mère Chana et sa grande sœur Ita sont arrêtés, transportés à la caserne Dossin de Malines d’où partent les convois vers les camps de concentration, l’antichambre de la mort. Le train de Simon et de sa mère est arrêté par trois résistants qui ouvrent la porte de leur wagon. Poussé par sa maman, le gamin parvient à sauter du wagon et à s’enfuir. Perdu, il court durant toute la nuit. Secouru par un gendarme à Borgloon, il regagne Bruxelles en train, sans être contrôlé (« un miracle »), et s’y cache durant 17 mois avec l’aide d’amis scouts. Sa mère et sa sœur ne sont jamais revenues des camps, et son père, à l’hôpital pour soigner ses poumons au moment de la rafle, en est mort de chagrin. La guerre finie, Simon s’est retrouvé tout seul, à 13 ans. Poignant.
© Xavier Piron/Photo News
Pour tout connaître sur le lauréat de l’Hommage de l’année, Simon Gronowski, rendez-vous dans le Lobby ici.
En attendant, si nous vous disons que l’autre passion de Simon, c’est de jouer du jazz, au piano. Vous le croirez ? Eh bien oui, ce sage de 92 ans est un fou de jazz et de piano. Et il exerce encore ! Et toujours ! La preuve en image ici au-dessus !
Newsletter Lobby du 16 février 2024, rédigée par François Didisheim, fondateur de Lobby. Retrouvez Lobby, la revue des cercles du Pouvoir, ici
Photo de couverture : © Joel Hoylaerts/Photo News