Corinne Le Brun
18 November 2021
Comment devient-on apprentie couturière surtout quand « on a de si belles mains » ? Mystérieusement touchée, Esther est persuadée que Jade a un don et l'engage comme apprentie. L'occasion de transmettre à la jeune fille un métier exercé depuis toujours pour la beauté du geste, de la belle ouvrage. La réalisatrice Sylvie Ohayon, par ailleurs romancière, nous fait entrer dans le monde soyeux, feutré d'un atelier de haute couture. Ici, (rien que) des femmes artisans toutes dédiées à leur noble tâche, brodent, plissent, montent, découpent, cousent... dans un silence solennel. Le doux bruissement des tissus plane sur la ruche des "petites mains". Calme, Esther tente de le rester tandis qu'elle termine sa dernière collection avant de prendre sa retraite. Haute Couture, comédie dramatique sensible, raconte la transmission possible d'un savoir-faire entre les générations, la filiation et les racines. Rencontre avec Sylvie Ohayon.
Eventail.be - Pourquoi avez-vous choisi la Maison Dior ?
Sylvie Ohayon - Il y a très peu de maisons de haute couture françaises au rayonnement international. J'ai renoncé à la magnifique maison Chanel parce que Coco Chanel, un peu collaborationniste dans la seconde guerre mondiale, ne s'est pas bien comportée avec ses patrons juifs. Cela me gêne en tant que juive. Dior est une belle maison française et Catherine Dior, la sœur de Monsieur Christian Dior, était résistante pendant la seconde guerre mondiale. Cela m'a beaucoup touchée.
- De quelle(s) femme(s) vous êtes-vous inspirée ?
- Je me suis inspirée de ma vie. Parce que j'ai eu des problèmes avec ma fille adolescente qui me rejetait beaucoup. En même temps, j'étais belle-mère d'une petite fille que j'ai très bien éduquée. Et que ce n'a pas pris sur ma propre fille. Je me suis interrogée sur le lien mère enfant : comment on imprègne plus l'enfant qu'on n'a pas porté que la chair de sa chair ? C'est un constat interpellant. Ma propre fille (Jade, ndlr) me rejetait beaucoup mais là, avec le film qu'elle a vu, elle a été très touchée. Petit à petit se reconstitue un lien très fort avec elle.
© Roger Do Minh/Les Films du 24 |
- Comment s'est faite la rencontre avec Nathalie Baye et Lyna Khoudry ?
- On a le même agent, je ne la connaissais pas. On lui a envoyé le scénario. Nathalie Baye aime la danse classique, la rigueur, le travail bien fait. Une phrase l'a touchée dans le film « tu me parles d'un boulot mais moi je te parle d'un métier ». Lyna Khoudry et moi, on se ressemblait beaucoup . Elle vient d'Aubervilliers, ville voisine de la Courneuve où j'ai grandi. Comme moi elle a fait le trajet de la terre à la lune : elle est partie vers les beaux quartiers de Paris faire du cinéma alors que dans les cités on ne vous apprend pas à faire du cinéma. On avait ce terrain commun et je pensais qu'elle incarnerait bien le personnage de Jade.
- Le monde de la mode et du luxe fait-il encore rêver les jeunes ?
- Manifestement non. En tout cas pas de le fabriquer parce que les maisons de haute couture ont du mal à recruter. On est en train de monter une opération avec Valérie Pécresse pour essayer d'embaucher les gamines dans les ateliers qui sont tous dans la région parisienne. J'ai demandé à ce que le film soit projeté dans les lycées. Je veux bien faire des interventions pour convaincre les gamines de venir se faire former dans les ateliers LVMH comme couturière. Il faut sept ans pour devenir couturière. Elles ne sont pas grassement bien payées au départ mais elles exercent de vrais métiers.
- Le secteur s'effiloche?
- Il ne se paupérise pas mais il a du mal à recruter. Les grands groupes sont bien structurés en France, Chanel a racheté les métiers d'art-la broderie, la plumasserie, et Dior met beaucoup d'argent pour former les jeunes. On va s'en sortir mais il faut être vigilants. Je serais ravie si je peux encourager les gamines de 93 (département de la Seine-Saint-Denis) - de chez moi -, à aller coudre dans les ateliers et apprendre des métiers. Je serais heureuse d'avoir mis une petite pierre à l'édifice. Les jeunes filles rêvent toutes d'avoir une robe haute couture clinquante mais, après, la fabriquer, mettre les mains dans le cambouis c'est autre chose. Elles veulent toutes être la reine mais pas l'abeille. Les réseaux sociaux, la société du "tout de suite facile" ne facilitent pas les choses.
- Qu'aimez-vous dans la haute couture ?
- Les artisans, qui font les tissus, la broderie. On a voulu me donner la robe du film mais je n'en voulais pas. Je ne saurais pas quoi en faire. Dior et Chanel sont des belles maisons qui existent grâce à des artisans de très grand talent.
- Comment définiriez-vous la beauté ?
- La beauté c'est quand on met du cœur à l'ouvrage. Un sentiment, une relation que ce soit pour un plat de frites ou une robe.
- Vous filmez un monde de femmes
- Je voulais leur rendre hommage aux femmes. J'adore les femmes. On a subi, été humiliées depuis cinq mille ans et il est temps que ça change. Je préfère bien élever mon fils, lui avoir appris à faire à manger, à faire son ménage plutôt que d'avoir des discours féministes. Et je pense que chacune, dans notre maison, on a des choses à faire à notre niveau et que tout mis bout à bout fera bouger les choses. On porte le monde à bien des égards. Les hommes nous ont fait croire qu'on était plus faibles alors que je pense qu'on est un peu plus fortes qu'eux. On ne peut jamais savoir mais c'est ce que je ressens. Même s'il y a beaucoup de couturiers hommes aujourd'hui dans les ateliers de couture, je ne voulais que des femmes.
- Vous à croyez à l'ascenseur social ?
- Ce n'est pas le cas de Jade parce qu'elle n'explose pas des plafonds de verre. Elle apprend un métier, elle trouve sa place dans le monde. Elle devient couturière. Elle ne devient pas Bernard Tapie ou un capitaine d'industrie. Je pense que, en France, l'instruction, les études restent quand même la meilleure façon d'appuyer sur le bouton de l'ascenseur social. C'est le message du film. Ouvrier, artisan ne sont pas des métiers intellectuels mais des métiers d'action. Cela ne passe pas par un enseignement magistral.
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