Corinne Le Brun
04 September 2024
Nicole (Valeria Bruni-Tedeschi), mère célibataire de 52 ans, est endettée et sans emploi. Elle vit seule avec son fils Serge (Félix Lefebvre) de 19 ans, dans un HLM de banlieue proche de Paris. Serge étouffe. Il cherche à prendre son indépendance. Nicole panique à l’idée de voir son fils partir. Sa vie permute quand elle rencontre Norah (Lubna Azabal) qui tient un bar à chicha en face de l’immeuble.
Eventail.be – Une vie rêvée a une forte connotation politique et sociale. Cela vous a motivée à accepter le rôle de Norah ?
Lubna Azabal – Je ne lis jamais un scénario dans l’idée qu’il y aura un propos politique que je pourrais défendre dans un rôle. Je m’intéresse à une œuvre dans son entièreté. J’ai tout de suite aimé l’écriture de Morgan Simon. Une vie rêvée est largement autobiographique, Morgan rend hommage à sa propre mère qui a fait le choix de faire et d’élever un enfant, seule. Nicole, cette mère un peu folle, a en tout cas un besoin dingue d’amour et qui ne se le permet pas. Elle déborde d’amour pour son fils. Elle agace par ses maladresses, ses excentricités envahissantes. Mais elle n’arrive pas à se donner de l’amour à elle-même. Comme si sa vie était terminée et que la seule chose qui valait encore le coup de continuer, c’était juste pour son fils.
– Toutefois, le film parle de solitude, de pauvreté dans la périphérie parisienne
– Il montre le déclassement, les invisibles, ceux qu’on ne regarde pas ou plus. Ces oubliés vivent dans la périphérie qui est devenue les poubelles de Paris. J’exagère à peine. Les gens sont pratiquement livrés à eux-mêmes. Du coup, vous êtes obligé de construire votre bonheur, de le fabriquer parce qu’on ne le fera pas à votre place. Qui va s’occuper de vous ? Personne. La périphérie, c’est aussi une jeunesse qui ne vote plus. Tout va trop vite. Les extrêmes se nourrissent du désespoir des gens. On les retrouve là où il y a un désert politique et social. Les gens ne croient plus au baratin du politique. La classe moyenne est en train de s’effondrer. Nicole a voté Le Pen. Elle l’a fait une fois et « elle ne le fera plus jamais » dit-elle. Elle est désespérée.
© DR
– Une vie rêvée ou une vie de rêve ?
– Mais personne n’a réellement une vie de rêve. Même si certains pensent la vivre, ils ne sont pas à l’abri d’un suicide. C’est le cas de Nicole de cette mère célibataire, dans le film. En fait, Nicole est animée d’une vie projetée : quelque chose qu’on n’a plus et qu’on aimerait avoir.
– Nicole veut prendre sa revanche …
– C’est un film très féministe pour moi. Il raconte la revanche d’une femme qui, à la cinquantaine, ne veut pas se laisser faire. Et d’une maman qui a décidé de faire un enfant tout seule comme dirait Jean-Jacques Goldman. C’est le choix de Nicole, incarnée par la magistrale Valeria Bruni -Tedeschi.
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– Comment s’est déroulé le tournage, aux côtés de Valeria Bruni-Tedeschi, particulièrement présente?
– C’était la première fois que nous tournions ensemble. Je savais qu’elle incarnait le personnage de Nicole. Du coup, l’ai lu le scénario avec elle en tête, je la voyais dans le personnage. Valeria fait aussi partie, bien avant qu’on se rencontre, des comédiennes que j’aime infiniment : Valeria Golino, Gene Rowlands, Tilda Swinton. Et Valeria est une femme que j’ai, tout le temps, admirée, aimée comme comédienne et réalisatrice. J’aime son travail. J’aime sa folie, qui n’est pas une fabriquée. Valeria est une boule d’émotions permanente. Elle a une vraie sensibilité. Elle est comme une éponge. Tout ce qui se passe autour d’elle, elle le prend. Dès la première lecture qu’on a faite chez elle, avec Morgan, tout de suite, les choses ont coulé de source. Pour moi, Valeria est une de mes plus belles rencontres artistiques.
– Norah tend la main à Nicole. La bienveillance peut sauver une vie ?
– Je pense qu’on peut tous être sujet à cette situation. Dans mon existence, j’ai connu des gens qui m’ont tendu la main et qui m’ont donné cette espèce de coup de pouce inattendu dans des moments probablement inespérés et peut-être aussi de désespoir ou de tristesse. Après, il faut pouvoir regarder cette main qu’on vous tend. Il faut pouvoir la réceptionner, être ouvert à cette bienveillance. Et je pense qu’effectivement, on se crée son bonheur. On ne doit pas dépendre des autres. On n’a pas le choix, sinon on meurt de tristesse, de désarroi, d’ennui, de solitude. On peut se dire, bon, tout a l’air noir mais il y a du bleu quelque part. Il faut le trouver.
FIlm
Une vie rêvée
Réalisation
Morgan Simon
Distribution
Valeria Bruni-Tedeschi, Lubna Azabal, Félix Lefebvre
Sortie
En salles
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