Corinne Le Brun
16 January 2025
Alors que l’espèce humaine semble avoir disparu, un petit chat englouti sous les eaux, trouve refuge sur une barque errante. Il ne sera pas tout seul. Montent à bord un chien, un capybara, un drôle d’oiseau et un lémurien désormais obligés de cohabiter sur un rafiot à la dérive. Et ce n’est pas toujours simple. Alors, on grandit en douceur. Le chat apprivoise petit à petit les flots tandis que le spectateur, lui, apprend et comprend les bienfaits de l’entraide pour désamorcer une situation difficile.
Eventail.be – L’Arche de Noé est-il à l’origine du film?
Gints Zilbalodis – Non, je n’y ai pas pensé. Flow est basé sur une histoire personnelle. Encore étudiant, j’ai réalisé le court-métrage Aqua qui parle d’un chat qui a peur de l’eau. Et puis, j’ai combiné l’idée d’un chat aquaphobe avec celle d’un personnage qui doit apprendre à collaborer, à ne plus avoir peur de l’eau et à surmonter ses peurs. Flow est le premier film que je réalise avec une équipe. Il raconte aussi mon apprentissage personnel : comment travailler ensemble, comment faire confiance aux autres. De la même manière que le chat, solitaire, apprend aussi à vivre ensemble et à faire confiance aux autres.
– Pourquoi avez-vous choisi un chat comme protagoniste ?
– Le conflit entre le chat et l’eau est très important. Les chiens semblent aimer l’eau. Et tout le monde sait que les chats n’aiment pas l’eau. Comme il n’y a pas de dialogue dans le film, on doit utiliser d’autres outils : la caméra, les lumières, le montage, la musique et le son expriment tout ce que le chat ressent. On peut montrer toutes sortes d’émotions. Le film s’ouvre sur le chat qui regarde son propre reflet. L’eau est très perturbée, elle tremble. L’image, déformée, représente ses anxiétés et de ses peurs. Quand l’eau fait peur, le chat a aussi peur des autres. Quand il apprend à collaborer et s’ouvre aux autres, l’eau devient plus paisible.
Ron Dyens, Gints Zilbalodis (au centre) et Matiss Kaza lors de la remise des Golden Globes le 5 janvier dernier © Burt Harris/PI via ZUMA Press Wire/Shutterstock (15077467p)
– Le chat et le chien s’apprécient. Une cohabitation plutôt rare…
– Un seul chien suit le chat. L’idée est que ce chien cherche toujours quelqu’un comme s’il voulait un leader, une direction. Mais il n’a personne d’autre, alors il suit le chat. Alors que le félin apprend petit à petit à faire plus confiance, le chien fait, en quelque sorte, le voyage inverse. Il commence par être très confiant, mais ensuite il apprend à être plus indépendant. D’où l’importance qu’ils soient présentés comme des personnages opposés, et qu’il n’y a pas qu’une seule bonne façon de faire. C’est bien d’être indépendant, mais c’est aussi bénéfique d’être collaboratif.
– Vous évitez l’anthropomorphisme. Comment avez-vous réussi à montrer les émotions des animaux?
– J’ai eu des chats et des chiens dans ma vie, donc je les comprends, je pense. Nous avons regardé beaucoup de vidéos de chats et filmé nos propres animaux de compagnie. Nous sommes allés au zoo, avons étudié la nature. Donc oui, quand ces personnages se comportent comme de vrais animaux, je pense que cette approche rend l’histoire beaucoup plus émouvante et intense. S’ils parlaient et racontaient des blagues, ils apparaitraient comme dans des dessins animés. S’ils agissaient comme des humains, on ne s’y attacherait pas autant.
– Est-ce un film anti-Disney ?
– Pas vraiment. Simplement, il n’est pas fabriqué de cette manière. On a vu ce genre de films tellement de fois. Je pense que les gens veulent voir quelque chose de nouveau qu’ils n’ont jamais vu avant. Et je trouve que les animaux, les vrais animaux, sont très intéressants et aussi très drôles. Ils ont des pensées profondes. On n’a pas besoin de les changer pour les rendre intéressants ou pour séduire le spectateur.
– Vous avez travaillé en 3D. Pour quelles raisons?
– Je n’utilise pas la technique du story board. À la place, je crée un environnement en trois dimensions dans lequel je peux me promener avec une caméra virtuelle qui m’apporte des nouvelles idées. Mon travail est très spontané et intuitif puisque je ne sais pas où je vais trouver quels types de plans. Des cinéastes peuvent imaginer et décrire leur film dans leur tête. Moi, j’en suis incapable. Cela prend trop de temps. La 3D est la seule technique où on peut bouger la caméra, qui n’est pas juste statique sur un trépied. Comme elle tremble, elle ne capte pas tout parfaitement ce qui rend les choses plus réelles. On a voulu des plans très longs, des moments plus calmes pour créer ce sentiment d’immersion. Je pense que la plupart des films américains sont juste trop bruyants et rapides. Voilà pourquoi je n’ai pas utilisé de noms, de dialogues, ni d’êtres humains.
– Vous avez sélectionné plusieurs animaux. Selon quels critères ?
– Je savais que je voulais avoir un chien pour contrebalancer le chat. Nous avions besoin d’un oiseau assez grand et fort pour pouvoir porter le chat. Il devait avoir cette présence majestueuse. Le chat doit lever les yeux pour le regarder et il est, en quelque sorte, impressionné par lui. L’oiseau secrétaire qui vit en Afrique du Sud, correspondait à cette image. Le lémurien est très différent. Il pense qu’en collectant tous les objets, les autres l’aimeront. Le capybara est comme un hippie pacifique qui, malgré toute la folie de ce monde, reste paisible. Il incarne aussi le thème du film, le fait de ne pas avoir peur même si tout le monde se dispute. Il enseigne, en quelque sorte, aux autres animaux à ne plus se battre et il invite toujours tout le monde à bord du bateau même si personne ne le veut. En fait, tous les animaux veulent tous la même chose. Ils ont juste différentes façons de vouloir être aimés. On les voulait, visuellement, très distinctifs les uns des autres par leur silhouette, leur attitude… Quand on choisit les animaux, on procède presque comme un casting. On les met ensemble et on essaie d’imaginer quelles sortes d’interactions ils auraient. Comme dans la vraie vie, en fait, il n’y a pas de bons ou mauvais personnages. Tous apprennent à vivre ensemble.
– On est frappés par la beauté de la nature qu’on sent menacée voire menaçante…
– La nature est belle même si elle peut être violente. J’ai surtout voulu procurer une immersion au spectateur. Les images donnent à voir le monde depuis le petit chat. Tout semble beaucoup plus grand et menaçant. Cela rend les choses plus émotionnelles. Le changement climatique est abordé mais je ne voulais pas défendre une cause ni proposer un récit post-apocalyptique. Je tenais à montrer les aspects positifs de la nature : les poissons qui nagent en ville, les relations entre les animaux qui sont belles. J’ai essayé de trouver un équilibre entre dévastation, entraide, résilience, courage, humour…
Film
Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau
Réalisation
Gints Zilbalodis
Sortie
Actuellement en salles
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