Corinne Le Brun
20 November 2024
Tous les jours, Jay (Romain Duris) parcourt Tokyo au volant de son taxi à la recherche de sa fille, Lily. Séparé depuis 9 ans, il n’a jamais pu obtenir sa garde. Alors qu’il a cessé d’espérer la revoir et qu’il s’apprête à rentrer en France, Lily entre dans son taxi… Les enlèvements d’enfants au Japon concernent des milliers d’expatriés mais aussi des couples interculturels et des familles japonaises. La loi stipule que le premier qui part avec l’enfant obtient la garde jusqu’à être déchu de l’autorité parentale en cas de divorce. Jay sillonne la ville à bord de son taxi. Une recherche folle qui paraît délirante. Un combat de tous les jours. N’est-il pas naturel que de vouloir garder le lien avec son enfant?
– Vous avez tourné pour la première fois au Japon. Quel a été le déclic ?
– C’est le fruit du hasard, vraiment. Tourner au Japon n’est pas un rêve en soi. Romain (Duris) et moi, avons voulu refaire un film ensemble. Invités à Tokyo pour la présentation de Nos batailles (2018), nous sommes tombés sur des histoires d’enlèvement d’enfants que des expatriés nous avaient racontées. Nous étions très émus. Il s’est produit une évidence, une espèce de continuité par rapport à Nos batailles, à vouloir creuser le sillon de la paternité.
– Vous avez choisi de tourner à Tokyo, une ville de 40 millions d’habitants
– Retrouver son enfant dans un petit village est évidemment plus facile. Alors que, dans cette mégalopole, la quête équivaut à chercher une aiguille dans une botte de foin. C’est exactement ce qu’on voulait. Le fait que la fille de Jay, comme par hasard, monte dans son taxi, nous excitait très fort parce qu’il y a quand même une chance sur des millions pour que cela arrive. Et le miracle se produit.
© Les Films Pelleas/Versus Production
– C’était important pour vous de retrouver Romain Duris?
– Je suis très fidèle dans le travail parce que, peut-être, que j’ai du mal à donner ma confiance. Mais quand je la donne, c’est vraiment à vie. C’est essentiel. Et avec Romain, on s’entend, très bien, sur le plan humain. En plus professionnellement, il propose des choses, on collabore comme avec toute l’équipe.
– Était-ce facile de tourner au Japon en tant qu’étranger?
– Sartre disait « La facilité, c’est quand le talent se retourne contre nous. » Ce n’est pas plus facile au Japon qu’ici. Et film raconte justement à quel point l’échange culturel est difficile. Donc, on était dans cette espèce d’humilité de vouloir vivre comme les personnages même si tout est différent. L’expérience a été compliquée mais très enrichissante. Prendre l’escalator, conduire une voiture… ces gestes quotidiens simples sont complètement autres. En même temps, on a pu tourner dans une rame de métro, dans une piscine. Tout est relatif. Il faut s’adapter. Et puis, on trouve des compromis.
© Les Films Pelleas/Versus Production
– Vous racontez deux histoires parallèles. Celle de Jay et de Jessica qui, elle aussi, veut retrouver sa fille. Pourquoi ?
– La problématique de l’enlèvement d’enfants n’est pas exclusivement masculine. Il y a autant d’hommes que de femmes qui souffrent de cette situation au Japon. Donc, il nous fallait montrer un pendant féminin qui a la même problématique. Jessica est un peu le miroir de Jay. Elle nous permet de sentir par quoi Jay est passé, neuf ans plus tôt. Et, en même temps, elle permet de le faire grandir, d’avoir un vrai regard sur ce qu’il vit et, peut-être, sur sa capacité de changer. Dans Keeper (2015) et dans Nos batailles, les personnages féminins secondaires font grandir et évoluer les rôles masculins. Je suis un réalisateur blanc de plus de 40 ans, cisgenre, hétérosexuel. Je suis féministe. Et donc c’est important pour moi de montrer des personnages féminins forts qui font évoluer les choses et qui ont un regard sur ce qui se passe. C’est ma façon de rétablir, de contrebalancer des films qui suivent une trajectoire masculine sur la paternité. C’est aussi un film sur la parentalité.
– Le lien filial est votre thème de prédilection. Pourquoi?
– Je pense qu’il est important. Et toujours présent. Je dirais même qu’il n’y a pas de mauvais père ni de mauvaise mère. On tire toujours quelque chose de ses parents, en fait, même s’ils n’ont pas “bien agi”. Le lien n’est jamais rompu.
Photo de couverture © Leonidas Arvanitis
Film
Une part manquante
Réalisation
Guillaumes Senez
Distribution
Romain Duris, Judith Chemla & Mei Cirne-Mazuki
Sortie
En salles
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