Gwennaëlle Gribaumont
24 November 2024
Pour beaucoup, le nom de Boghossian évoque immédiatement la prestigieuse fondation établie à la Villa Empain. Mais derrière cette institution emblématique se cache un artiste prolifique : Jean Boghossian. Né en 1949 à Alep, ce plasticien belge d’origine libano-arménienne déploie une pratique multidisciplinaire unique. Son partenaire créatif ? Le feu. Sauvage et indomptable. Dans un rituel proche de la chorégraphie incandescente, le feu – manipulé par l’artiste – devient une langue artistique vibrante, symbolisant à tour de rôle la destruction, la transformation et la renaissance.
Explorateur infatigable des formes, des matières et des couleurs, Jean Boghossian évite soigneusement toute forme de stagnation. Boulimique d’expérimentations où la spontanéité est maîtresse, cet électron libre refuse la facilité de la répétition, optant pour un renouvellement constant. Armé d’une insatiable curiosité, doublée d’une faculté d’adaptation à toute épreuve, il multiplie les supports, les disciplines, les esthétiques… À moins que cette quête permanente ne ressemble davantage à une poursuite philosophique de l’impossible, conduite par un créateur en proie à une insatisfaction artistique continue ?
Alchimiste des temps modernes, Jean Boghossian manipule les quatre éléments : la terre qu’il sculpte, l’eau dans ses encres et autres solutions colorées très diluées, l’air, à travers ses volutes de fumée, et le feu, devenu son allié de prédilection depuis 2010. “Je me laisse porter par ces éléments, l’un prenant le pas sur l’autre, et inversement, dans une spontanéité totale”, nous confie-t-il. Le feu, indomptable et fascinant, occupe une place centrale dans son corpus. Il inscrit l’œuvre prolifique de Jean Boghossian dans l’héritage de ces artistes qui employèrent ce “symbole des origines de l’humanité” à part entière pour lui donner une voix singulière : de Burri à Fontana, de Pollock à Klein, en passant par Kounellis et Parmiggiani, nombreux sont ceux qui explorèrent ces tensions indicibles entre chaos et maîtrise.
Jean Boghossian, Flaming Flow, 2022, fumée et pigment sur acrylique sur toile, 195 x 242 x 3,5 cm. © Studio Jean Boghossian
2. L’homme s’inscrit dans la grande tradition des artistes qui jouent avec le feu. © Lisa De Boeck
Plus qu’un choix délibéré, le feu s’est imposé à Jean Boghossian comme une évidence : “Le feu est entré dans ma pratique de manière tout à fait fortuite. Alors que j’utilisais un chalumeau pour allumer une bûche, j’ai ressenti une irrésistible envie de tester sa réaction sur la peinture. Depuis, le feu ne m’a plus quitté. Il m’a choisi, m’a révélé. Il me conduit sans cesse vers de nouvelles potentialités insoupçonnées.”
De cette rencontre hasardeuse est né un pacte. Entre l’homme et la flamme s’instaure une danse intime à l’équilibre subtil. Un tango où chacun cède tour à tour le contrôle. L’artiste s’efforce de dompter l’imprévisible, de prendre le pas sur le hasard, tout en accordant à la flamme une liberté créatrice permettant le passage miraculeux de la destruction à la renaissance. Dans son œuvre, le feu transcende les matériaux, les métamorphosant pour révéler l’intangible. “Je perçois le feu comme un instrument de création et de rédemption… Un instrument d’exorcisme, de transformation et de sublimation ! Symboliquement, le feu est profondément ancré dans mon histoire personnelle. Issu d’une famille de joailliers, j’ai travaillé le métal avec le chalumeau dès l’âge dix-sept ans. Le feu fait partie de mon ADN, il constitue un lien direct me reliant à ma famille, mais aussi aux blessures profondes de l’histoire, notamment le génocide arménien et les guerres civiles libanaises.”
Depuis une décennie, Jean Boghossian oriente sa pratique vers l’abstraction lyrique. Sur la toile ou le papier, ses volutes de fumée laissent des empreintes énigmatiques, des glyphes indéchiffrables ouverts à des interprétations multiples. Des fleurs, des bateaux ou toutes autres formes surgissent, dans un jeu de paréidolies poétiques offrant à chaque œuvre une dimension onirique.
Le peintre manie pinceaux et chalumeau. © Antoine Grenez
Jean Boghossian, Universe, 2024, fumée et pigment sur acrylique sur toile, 120 x 3 cm. © Studio Jean Boghossian
“Mon art est spontané, émotionnel et intuitif, affirme-t-il. Il ne véhicule pas de message politique, mais il interroge les matières, les couleurs, les sensations.” Pour Jean Boghossian, l’engagement ne se fait pas à travers des revendications politiques, mais en se mettant au service de l’art lui-même. Cet engagement s’illustre notamment par la création et les activités de Fondation Boghossian, cofondée avec son frère Albert et son père Robert en 1992. Installée dans la Villa Empain (propriété que l’artiste acquiert en 2006), la fondation est devenue un lieu incontournable du dialogue interculturel et artistique entre Orient et Occident. “À travers elle, j’aspire à éveiller les consciences, à ouvrir des discussions sur les identités, les frontières, les cultures.” Aux yeux de Jean Boghossian, l’art ne résout pas les tensions, mais il peut contribuer à faire évoluer les mentalités en devenant un espace de dialogue éloigné des conflits politiques… En guise de conclusion, sa seule certitude ? “La fondation demeure définitivement ma plus belle création.”
Photo de couverture : Portrait de Jean Boghossian © Lisa De Boeck
Expositions
Le Langage du silence (expo collective)
Œuvres exposées à l’hôtel Steigenberger Icon Wiltcher’s
Dates
Le Langage du silence
Du 19 octobre 2024 au 20 avril 2025
En permanence à l’hôtel Steigenberger Icon Wiltcher’s
Adresses
Le Langage du silence
Abbaye de Villers
Rue de l’Abbaye, 55
1495 Villers-la-Ville
Steigenberger Icon Wiltcher’s
Av. Louise 71
1050 Bruxelles
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