Sarah Belmont
21 June 2022
Bleu, blanc, vert. Trois couleurs dont la lumière du Sud intensifie le contraste, là sur les hauteurs d’Antibes. Cette palette résume assez bien l’essence de la Fondation Hartung-Bergman, ouverte au public depuis le 11 mai. Créée en 1994, cet organisme d’utilité publique œuvre à entretenir la mémoire du couple éponyme, à conserver leurs travaux (toiles, estampes, photographies…), à les faire rayonner en France et à l’étranger.
Hans Hartung (1904-1989) © DR
Anna-Eva Bergman (1909-1987) © DR
En 1929, Hans Hartung (1904-1989), pionnier franco-allemand de l’abstraction lyrique, relancé il y a quatre ans par la galerie Perrotin aux États-Unis (“petite revanche” sur l’échec de son exposition de 1975 au MET, Metropolitan Museum of Art de New York), et Anna-Eva Bergman (1909-1987), illustratrice norvégienne reconnue comme peintre inclassable, se rencontrent à Montparnasse. C’est le coup de foudre. Ils se marient une première fois, jettent l’ancre au début des années 1930 à Minorque d’où ils sont chassés au bout de deux ans, se séparent en 1937, se remarient une quinzaine d’années plus tard et s’installent à Antibes dans les années 1960-1970, sur un terrain de deux hectares propice à raviver leur rêve minorquin.
Vue de la Fondation Hartung-Bergman, Antibes © Fondation Hartung-Bergman.
Hartung signe l’architecture, extrêmement épurée, du lieu mais il n’est pas improbable qu’il se soit inspiré des plans dessinés trente ans plus tôt par sa compagne dans les Baléares. Maison cycladique ? Domus romaine ? Dans ce temple de la sobriété, aucune pièce ne communique avec une autre. Il faut toujours passer par l’extérieur, renouer avec la nature, pour changer d’espace. À la villa, qui s’articule autour d’une piscine, répondent deux ateliers en contrebas. La création, la vie publique, au sud ; la récréation, la vie privée, au nord. Entre les deux, 200 blanquetiers, oliviers antibois qui ont la particularité de produire des fleurs blanches au printemps, contrairement aux cailletiers qui dominent la région. Au beau milieu de ce champ odoriférant, un “totem” explicatif, gage d’une médiation soignée…
Vue de l'exposition Les archives de la création © Claire Dorn
Passé le portail d’entrée, le public est invité soit à s’arrêter pour apprécier la vue qui se profile à gauche, soit à plonger tout droit dans l’univers d’Anna-Eva Bergman et d’Hans Hartung, dont les chronologies respectives tapissent les murs de l’escalier menant à la boutique, pensée comme un espace d’exposition à part entière. Les estampes qui y sont présentées ne sont pas à vendre. Parmi les produits dérivés se détache une grenouille en peluche, animal fétiche de Bergman.
Anna-Eva Bergman - Opskrifter jorden rundt [3], [1938], encre de Chine et aquarelle sur papier, 28.4 X 39.4 cm © DR
Juste à côté de ce point de vente, “mais pas seulement”, se tient le kiosque Chez Marcelle, cuisinière patentée de la propriété depuis 1973. Pissaladière ou biscuits vegans, faites votre choix ! Cet indéniable cordon bleu tient sa recette du saumon gravlax, entre autres spécialités nordiques, de l’ancienne maîtresse de maison, elle-même autrice d’un ouvrage culinaire paru dans les années 1930. “Quant à Monsieur Hartung, il raffolait des glaces, tous parfums confondus”, nous confie-t-elle.
Vue de l'atelier Hans Hartung © Stanislas Valroff
Sur le chemin des anciens ateliers augmentés de salles d’exposition, deux grosses roches évoquent le collectionnisme que Bergman appliquait aux pierres. Il en est des cartons entiers dans les caves ! #Passioncailloux auraient affiché les réseaux, inexistants à l’époque… Entre les working spaces des deux artistes se dresse un mur gris de citations. Quarante à propos de l’un ; quarante quant à l’autre. Deux ascenseurs pour personnes à mobilité réduite se fondent parfaitement dans le décor, écho tacite au handicap d’Hans Hartung, amputé par deux fois à la jambe durant le second conflit mondial. La mise aux normes était un défi que tenait absolument à relever Thomas Schlesser, le directeur de la Fondation. Une réussite !
Hans Hartung, T1958-3, 1958, © Fondation Hartung-Bergman
Anna-Eva Bergman, N°67-1966 Grand océan, 1966 © Fondation Hartung-Bergman
Dans la restitution (et non la reconstitution !) de l’atelier du maître, qui ponctue le parcours d’exposition consacré, un peu plus loin, à ses œuvres – de sa toute première peinture abstraite datée de 1931 (son abstraction la plus ancienne est une aquarelle de 1922) à ses toiles monumentales, en passant par une sculpture sur fer de 1938 – trône un fauteuil roulant conçu sur mesure, par ses soins, à partir d’un siège auto, de roues de vélo… En toile de fond, la voix de l’artiste alterne avec des moments de silence et des morceaux de Jean-Sébastien Bach qu’il écoutait tandis qu’il projetait sa peinture, à l’aide d’une sulfateuse, sur des toiles toujours plus monumentales et, par ricochet, sur les murs encore maculés de ces heureux accidents. Un studio-témoin unique en Europe.
Vue de l'atelier. © Fondation Hartung-Bergman
Ce n’est pas tout ! Si les espaces de travail sont ouvert au public, les espaces de vie abritent désormais un centre de recherche, fort d’un programme biennal : trois à quatre séminaires scanderont “l’année 1”, tandis que “l’année 2” s’accompagnera de deux à trois valorisations académiques , qu’il s’agisse d’expositions, de publications, de documentaires… Le tout orchestré autour d’un thème : Sciences et abstractions, en l’occurrence, cette année.
Vue de la Fondation Hartung-Bergman à Antibes, 2022. © Claire Dorn & Fondation Hartung-Bergman & Perrotin.
Bienheureux les chercheurs qui ont à présent accès aux sept chambres de la villa, à la piscine et à la divine cuisine de Marcelle ; à la salle audiovisuelle/de conférences adaptée à la consultation d’archives religieusement numérisées depuis la fin des années 1990 ; à la photothèque riche d’une trentaine de milliers de clichés essentiellement pris par Hartung ; à la bibliothèque peuplée de 4000 titres, dont un livre dédicacé par le poète Aimé Césaire à Hans Hartung. Le fonds originel de ce dernier et d’Anna-Eva Bergman y tutoie des ouvrages récents axés sur l’art du XXe siècle et les écrits d’artistes.
Les archives de la fondation. © DR
Dans un classeur, un courrier de Max Ernst. Dans un autre, la lettre d’engagement d’Hans Hartung. Sans oublier le semainier où figure, à la date du 26 octobre 1964, le rappel manuscrit d’un rendez-vous avec Mark Rothko. On doit à une certaine Marie Aanderaa d’avoir commencé à traiter, dès les années 1950, les archives de la Fondation, qui a pris le relais depuis. Cette éblouissante base de données fonctionne en partie comme un catalogue raisonné, chaque entrée indiquant la provenance, les mouvements, la réception, d’une œuvre. Hartung et Bergman avaient, semble-t-il, tout prévu !
Exposition inaugurale
Les archives de la création
Dates
Du 11 mai au 30 septembre 2022
Adresse
Fondation Hartung-Bergman
73 Chemin du Valbosquet
06600 Antibes, France
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