Corinne Le Brun
22 January 2025
C’est l’histoire d’une chevalière, ornée d’un aigle, qu’un père a confiée avant de mourir. Sur son lit d’hôpital, Emmanuel de Montaigu demande à son fils Thibault : « J’aimerais que du écrives l’histoire de Louis. » Cet aïeul déchu, ce capitaine de Hussards, mort au combat le 30 août 1914 dans une charge de cavalerie. Thibault de Montaigu compulse des archives pour raconter son arrière-grand-père valeureux. Mais celui-ci n’en est pas le personnage principal.
Eventail.be – Selon vous, est-ce chose courante qu’un père demande à son fils d’écrire un livre sur ses ancêtres?
Thibault de Montaigu – Je pense que, souvent, les personnes âgées ont tout d’un coup ce retour sur elles-mêmes, quand elles arrivent à la fin de leur vie, où souvent, finalement, elles se posent des questions sur leur propre passé, sur leur propre famille. Alors, mon père était devenu non-voyant. Il était très limité. Donc, c’était compliqué pour lui de mener cette enquête. Donc, du coup, je pense qu’il s’est dit : « ce serait intéressant que mon fils le fasse à ma place. » Et donc, là, il avait de la chance parce qu’il avait un écrivain dans la famille. À portée de main.
– Avez-vous accepté tout de suite la requête de votre père?
– Je n’avais nullement envie de me lancer dans cette enquête. Je ne connaissais quasi rien à la Première Guerre. Et, pourtant, une force obscure m’y poussait. Comme si cette chevalière me servait de témoin de la mémoire familiale. Comme si j’avais le pouvoir de ressusciter les fantômes de ce glorieux hussard. Ce livre, finalement, était aussi cette aventure que mon père et moi avons vécue ensemble pendant les deux, trois ans d’enquête. C’était l’occasion aussi de raconter toutes les difficultés que j’ai à écrire, et les allers-retours que j’ai avec mon père. Finalement, c’était une manière, peut-être détournée, de revenir à lui.
– Et finalement, pourquoi avez-vous accepté? Et à quel moment?
– Il y a eu un moment très fort. Mon père m’a envoyé plein de documents sur cette charge de cavalerie, pour certains conservés dans la bibliothèque de Harvard. Notamment l’histoire de la remise de la croix de guerre à mon grand-père Hubert, en lieu et place de son père Louis qui vient de mourir au combat. J’ai été extrêmement ému. Je me suis senti très proche de cette scène parce que j’ai compris que les pères sont des mythes, des absents, et qu’il faut écrire leur histoire.
– Votre père vous a abandonné
– Comme je le dis dans le livre, à cinq ou six ans, en pyjama, j’ai surpris, du haut de l’escalier, mon père en train de charger ses valises dans l’ascenseur. Mais comme tous les autres avant lui, mon père n’a jamais cherché autre chose qu’un peu de tendresse. Le cartable rouge qui figure en photo de couverture du livre, représente un peu le poids de l’héritage, la charge du passé que je portais déjà à l’âge de cinq ans. C’était mon premier jour d’école. Le rouge est la couleur du cœur.
– Bon sang ne saurait mentir…
– Evidemment, Cœur est une histoire d’hérédité, d’une certaine manière. Finalement, il y avait beaucoup de mon père en moi, et beaucoup de Louis dans mon père, et on était tous habités par l’archétype du chevalier blanc. Dans le sens où, depuis de longues générations, dans cette famille, il y avait cet idéal d’être un héros, cette appétence de gloire, de grandeur qui a continué à courir dans notre sang jusqu’à moi, et peut-être jusqu’à mes enfants.
– À quelle grandeur aspirez-vous ?
– Très honnêtement, je l’ai placée, évidemment, dans la littérature. Très jeune, je me suis donné comme objectif de devenir écrivain, d’être publié, d’être reconnu et de travailler pour faire de grandes œuvres. Mais j’aimerais aussi avoir une certaine grandeur dans la vie, dans le sens où il y aurait du panache, des aventures, de l’éclat. J’ai une peur panique de la monotonie, du quotidien contre lesquels j’essaie de lutter. Mais, en même temps, vouloir chercher tout le temps l’intensité, la flamboyance peut être une maladie ou un désavantage. Il ne faut pas non plus se laisser dévorer par ses rêves de gloire et de grandeur. Il y a des moments où il faut accepter la médiocrité, aussi.
– Votre livre traite de psychogénéalogie, qui consiste à rechercher l’origine de de nos comportements dans notre histoire familiale. Est-il possible de se défaire du passé dont nous héritons?
– Je pense qu’en prenant conscience de ce qui nous est arrivé dans notre passé aux générations précédentes, le fait de le dire, de le savoir, est une manière, au moins, de le mettre à distance et, après, de décider ce qu’on va en faire. Et c’est là où on peut s’en libérer. C’est très important de mettre des mots déjà, sur ces histoires qui n’ont pas été élucidées, sur ces cadavres dans le placard, sur ces fantômes qui restent dans leur crypte. Le pire dans les familles, ce sont les non-dits et les secrets. C’est ce qui s’est passé avec l’histoire de Louis, comme dans de nombreuses autres familles.
Photo de couverture : © Pascal Ito
Titre
Cœur
Auteur
Thibault de Montaigu
Éditeur
Albin Michel
Sortie
2024
Sur internet
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