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Droit d’auteur dans l’ère numérique : l’angoisse de la page blanche

Rédaction

23 April 2015

Ce jeudi 23 avril a lieu la Journée Mondiale du livre et du droit d'auteur. Parallèlement, la Commission et le Parlement européens envisagent de réformer en profondeur le droit d'auteur considéré comme un obstacle au développement du marché numérique. Analyse des enjeux d'une réforme qui pourrait compromettre la diversité culturelle.

Google en a fait sa grande ambition : créer à travers Google Books une bibliothèque universelle et gratuite en numérisant tous les livres du monde, une véritable Alexandrie des temps modernes. Ce rêve de la bibliothèque numérique universelle symbolise parfaitement l'aubaine et le danger pour le livre – et plus largement pour tous les types d'œuvres protégées – au XXIème siècle : voir leur diffusion croître grâce à internet et concomitamment leurs moyens de financement diminuer, les auteurs n'étant la plupart du temps pas rémunérés pour cette diffusion.


Comment concilier la formidable opportunité de diffusion des œuvres dans le monde numérique et la nécessité pour les créateurs d'être payés en retour ? C'est le défi principal auquel est confronté le droit d'auteur aujourd'hui. La journée mondiale du livre et du droit d'auteur a le mérite de rappeler cette évidence : nulle richesse et diversité dans la création sans un droit d'auteur fort. Pour Bernard Gérard, Directeur de l'association des éditeurs belges (ADEB), cela ne fait aucun doute : « Le droit d'auteur est un élément essentiel de la diversité culturelle, de la circulation d'une œuvre et de son existence même. »


Pourtant, Internet a donné l'illusion que les œuvres pouvaient être accessibles et reproduites gratuitement et en grande quantité. Ce serait oublier un peu vite qu'il en va de la culture comme du pain : il faut dans les deux cas rémunérer l'artisan ou l'artiste afin qu'il puisse continuer à fournir un produit de qualité. « Les « GAFA » (Google, Amazon, Facebook, Apple) doivent assurer comme dans l'édition traditionnelle, une juste rémunération des créateurs. Celle-ci est essentielle à la pérennité des industries culturelles. Il faut trouver un équilibre pour réaliser ces grands projets sociétaux sans léser aucun acteur de la chaîne », avertit Bernard Gérard.


On perçoit souvent le droit d'auteur comme un droit d'interdiction, un droit qui empêcherait les utilisateurs de regarder leurs films et séries préférées, d'écouter de la musique comme bon leur semble... C'est ignorer que le droit d'auteur comporte de nombreuses exceptions qui permettent, entre autres, de copier les œuvres dans la sphère privée, de photocopier des extraits de livre à des fins d'enseignement, moyennant une indemnisation financière (assurée par des sociétés de gestion collective de droits). Alain Berenboom, avocat spécialiste du droit d'auteur et écrivain , abonde dans ce sens : « On ne peut empêcher chacun de réaliser pour ses besoins et son plaisir des copies. La loi ne peut pénaliser le consommateur qui réalise des copies pour son usage personnel ou celui de son cercle d'intimes mais il est normal qu'une indemnisation de cette consommation faite sans autorisation de l'auteur soit mise en place. C'est le système de la copie privée, qui existe dans de nombreux pays européens dont la Belgique mais qu'aucune directive européenne n'a consacré (notamment parce que la Grande Bretagne n'en veut pas). »


« Briser les barrières nationales »


Si le modèle européen (qui influence directement le cadre légal belge) du droit d'auteur jouissait jusqu'ici d'une réputation favorable, car protectrice des ayants droit, il semblerait que la Commission européenne veuille faire volte-face. Son nouveau président, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker, s'est en effet mis en tête de réformer le droit d'auteur dans l'Union européenne d'ici 2016. L'objectif affiché ? « Briser les barrières nationales » dressées par le droit d'auteur et unifier les règles dans toute l'Union européenne. L'idée est de pouvoir rivaliser avec les gros opérateurs américains en créant un marché unique du numérique destiné à l'ensemble des consommateurs européens (« Digital Single Market »).


Le Parlement européen a lui aussi pris le pli. En témoigne un récent rapport confié à l'allemande Julia Reda (seule eurodéputée du parti Pirate) et qui se montre foncièrement hostile à nombre de règles existantes du droit d'auteur. Le rapport préconise par exemple de réduire la durée du droit d'auteur à 50 ans après la mort de l'auteur (au lieu de 70 ans actuellement), de rendre obligatoire les exceptions au droit d'auteur, d'en créer de nouvelles... Mais le point qui suscite le plus de controverses est sans conteste le « principe de territorialité ». Ce principe implique que des licences d'exploitation d'œuvres soient accordées par pays et non pour l'Europe entière. La territorialité des droits est vitale, notamment pour l'industrie du cinéma. Comme l'explique Alain Berenboom, « une importante partie des financements des films de producteurs européens vient de ce que les producteurs vendent, avant même que le film ne soit tourné, les droits d'exploitation à des distributeurs nationaux qui en échange leur versent des acomptes. Si les distributeurs nationaux pouvaient contourner ce système et se fournir en copie de films dans n'importe quel autre territoire, plus aucun distributeur ne s'assurerait de l'exclusivité de la production de film et donc ne verserait les acomptes indispensables au financement des productions européennes ».


L'on comprend dès lors la réaction du secteur culturel qui accuse la Commission et le Parlement de vouloir affaiblir les droits d'auteur au profit des géants de l'internet. La grande machine lobbyiste s'est en tout cas déjà mise en branle pour influencer dans un sens ou dans l'autre l'issue de ces réformes législatives (plus de 550 amendements au rapport Reda ont déjà été déposés !). « Il serait choquant que les auteurs soient sacrifiés dans une réforme du droit d'auteur. Si l'on s'en tient au terrain économique (qui est le seul qu'intéresse la Commission), diminuer la protection des auteurs c'est entraîner une baisse significative des revenus tirés par ceux-ci et les industries culturelles qui exploitent leurs droits, ce qui est absurde », prévient Berenboom.


Au-delà des aspects techniques, le débat se joue sans doute aussi sur le front idéologique. Nous sommes entrés dans une ère de la culture de masse où celle-ci n'est plus vue seulement comme une valeur essentielle à protéger et à préserver mais comme un bien de consommation devant obéir aux lois du marché. Au risque de rendre cette même culture toujours plus uniformisée.
Le Président Juncker et le Commissaire en charge du dossier, l'allemand Günther Oettinger, auront donc du pain sur la planche pour contenter les différentes parties. Les mois qui suivent promettent d'être intenses.

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