Corinne Le Brun
27 November 2024
Le 27 avril 1962, Eddie Pujol, 20 ans, est de retour à Marseille après avoir passé deux années en Algérie. Il rejoint Paris et, dans le train de nuit, rencontre Agnès. C’est le coup de foudre. Ils sont beaux, ils ne savent rien l’un de l’autre. Ils vont très vite unir leur destin. Eddie s’invente un avenir radieux. Agnès sent qu’il y a une part d’ombre en lui. Eddie et son père, Eric Pujol, ont coupé les liens depuis plus de quinze ans. Eddie a une revanche à prendre sur la vie. Il reprend pied après avoir souffert pendant la guerre d’Algérie. S’il a trouvé l’amour dans son pays natal, retrouvera-t-il celui de son père ? Eric et Eddie parviendront-ils à se réconcilier ?
– La Méduse noire serait-il la suite de votre précédent roman D’où vient l’amour ?
– Je ne l’ai pas du tout vu comme une suite mais plutôt comme un livre autonome à part entière, où on trouve des personnages de la famille Pujol qui ont déjà existé dans D’où vient l’amour (Ed. Calmann-Lévy, 2022). J’avais laissé des personnages très jeunes à la fin du roman. L’un d’entre eux me touchait particulièrement, le personnage d’Eddie, ce petit garçon de quatre ans, né sur les pentes d’un volcan. Je le retrouve au cours de son cheminement, quelques années plus tard, dans un moment bien particulier qui est son retour de la guerre d’Algérie, en 1962. Il reprend pied dans la vie, sur le sol natal, et son nouveau destin va s’enclencher.
– Eddie veut une vie normale. Il lui faut surmonter les traumatismes psychologiques de la guerre
– À la fois, il pousse un ouf de soulagement parce qu’il est sain et sauf. Mais il a connu là-bas ce que personne n’est censé connaître au cours de sa vie. Il est passé par l’expérience de la violence militaire et de l’ordre de l’insoupçonnable. Il a devancé l’appel pour partir, pour se venger de son père qui avait brisé ses amours avec Claudine, la fille du brasseur de bière. Mais il ne savait absolument pas vers quoi il allait. Personne ne savait ce qu’était l’Algérie. Et je pense d’ailleurs que personne ne sait ce qu’elle est ni ce qu’elle a été. Personne ne sait ce qu’est une guerre, à part ceux qui l’ont vécue et qui n’en ont jamais parlé. Personne ne mesure la quantité de violence, la stupidité d’un affrontement militaire et l’horreur que l’on inflige à des jeunes, à des enfants.
Maud Fontenoy, Alain Ducasse et Yann Queffélec et sa femme Servane au gala de charité de la Maud Fontenoy Foundation à bord du Ducasse sur Seine à Paris le 6 juin 2023. © Veeren/Bestimage
– Eddie est confronté à la guerre d’Algérie. Son père, à la seconde guerre mondiale. Ce contexte a son importance pour vous ?
– Je suis un enfant de l’après-guerre. Et ce contexte me séduisait parce que je le trouvais infiniment romanesque. Tout le monde en parlait et, à la fois, personne. J’avais l’impression que la guerre était une dame qui devait quitter la pièce et qui pouvait rentrer à n’importe quel moment. Il fallait faire extrêmement attention à ce qu’on disait et faisait. C’était extrêmement mystérieux. Tout le monde se méfie un peu de tout le monde encore, même s’il y avait de l’excitation dans l’air, et qu’il y avait eu des gens bien, d’autres moins bien. Des phrases s’arrêtaient nettes dès qu’on parlait de telle ou telle personne. J’ai essayé de capter ce qu’il y avait d’ambigu et de non-dits dans cette période. Mes parents, comme beaucoup d’autres, ne disaient pas grand-chose. Ils évitaient de donner des détails. Ils étaient passés par l’horreur, par l’humiliation. Je crois que c’était une période extrêmement humiliante pour les Français. C’était la libération. On ne parlait plus de la guerre.
– La guerre en Algérie, justement, on n’en parlait pas non plus.
– On n’en était pas capables. La France serait à feu et à sang si on en parlait, même maintenant. On l’a déjà été suffisamment avec cette guerre d’Algérie. A 20 ans, j’ai constaté que mes deux meilleurs amis, qui avaient dix ans de plus que moi, avaient fait tous les deux la guerre d’Algérie. Jamais ils ne s’étaient confiés sur ce qu’ils avaient vécu. Ni à leur femme, ni à personne. Un beau jour, ils ont eu besoin de m’en parler. J’étais frappé par l’état de mutisme intérieur, de mémoire figée dans lequel la guerre les avait plongés. Une espèce de secret, finalement, que personne n’aurait compris ou voulu entendre et qui les aurait rendus éventuellement suspects aux yeux de la société s’ils l’avaient divulgué.
– Un autre thème vous est cher : la relation entre père et fils.
– La famille est un milieu où je me sens, en tant qu’écrivain, extrêmement bien. Et tous mes romans portent sur la cellule familiale, qui est à la fois un cadeau et un fardeau pour l’individu. On ne peut pas se passer de la famille. Et, en même temps, il s’y passe des choses épouvantables et, parfois, belles. C’est dans ce sens-là qu’elle est absolument superbe. Évidemment, j’ai eu une relation magnifique avec ma mère, jusqu’à sa mort. Mais, d’un bout à l’autre, mon rapport avec mon père était épouvantable. Et je pense que dans toutes les familles, il y a du bon et du pas bon. C’est dans la famille que l’on fixe le rôle d’un individu. Des parents diront « Toi, tu es comme ça. » On classe un individu. Il a beaucoup de mal à se dépêtrer des étiquettes qu’on lui a mises sur le dos quand il était petit, quand il évoluait dans le cercle familial. C’est dans ce sens que les familles sont dangereuses. Elles vous fichent dans une personnalité qui n’est pas forcément la bonne.
Livre
La méduse noir
Auteur
Yann Queffélec
Éditeur
Calmann-Levy
Sortie
2024
Sur internet
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