Corinne Le Brun
14 August 2018
Avec ce nouveau roman, Marc Levy croise à nouveau ses deux thèmes de prédilection: la famille et l'amour, mâtinés de suspense domestique. La comédie dramatique se déroule à New York, où vit Marc Levy depuis quinze ans. Deepak, Chloé, Sanji et quelques autres se croisent dans l'ascenseur d'un petit immeuble, sur la 5e Avenue. Deepak, d'origine indienne, chargé de faire fonctionner l'ascenseur, observe la vie de la communauté. Une nuit, son collègue de nuit tombe dans l'escalier. Tous les occupants voient leur vie chamboulée. Le suspense est enclenché.
Eventail.be - Vous êtes-vous inspiré d'une expérience personnelle pour écrire votre nouveau roman ?
Marc Levy - Il reste cinquante-trois ascenseurs avec liftier à New York. C'est en rencontrant ce personnage incroyable qu'a germé l'idée du roman. Tournant le dos aux occupants, Deepak entend tout et voit tout de leur vie et il garde tout son ressenti pour lui-même. Dans le même temps, de par son uniforme de liftier, il n'est vu et entendu par personne. Enfant, en marchant dans la rue, face à des immeubles, j'imaginais ce qui se passait derrière les fenêtres. Ce vieux rêve m'a poursuivi à l'âge adulte. Un écrivain peut traverser les murs. La comédie est un moyen formidable de parler des choses dramatiques de la vie.
- Un immeuble est un concentré de vies, avec leurs différences de parcours, de cultures...
- Le fil rouge c'est la différence de l'autre et notre propre différence. La perception qu'à la société sur notre propre différence nous rend heureux ou très malheureux. Chloé, au début dit: « toutes les beautés ne sont pas celles que vous croyez vivre ». La perfection n'a aucun intérêt, les génies sont extrêmement ennuyeux. Ce qui est beau c'est la faute, les failles, les aspérités. Il n'y a rien de plus beau que la mélodie d'un accent. Nous avons tous un handicap, psychique et physique, certains plus difficiles à vivre que d'autres. L'important c'est qu'on voit l'être avant son handicap. Si vous arrivez à voir un humain avant la couleur de sa peau, il n'y aurait plus de racisme. L'école était une usine à normes, ce que j'ai vécu quand j'étais gosse. Etre gaucher était inacceptable. L'enfant était terrorisé de ne pas appartenir à la meute. Aujourd'hui, il y a encore des gens qui ont beaucoup plus peur de deux hommes ou deux femmes qui s'aiment que d'un fusil mitrailleur. L'Amérique du régime républicain actuel est une Amérique qui se replie sur elle-même. Elle est très proche de la servante écarlate de Margaret Atwood, avec des atteintes à la démocratie qui sont quotidiennes et quasi permanentes. La neutralité du net vient d'être abattue à des fins commerciales et économiques pour enrichir une autocratie américaine, bien pire que du temps du maccarthisme. On ne s'en rend pas encore bien compte en Europe.
© Editions Robert Laffont/Versilio |
- La tradition indienne reste très présente dans la famille de Deepak, au cœur de New York...
- C'est le propre de l'identité new yorkaise. New York est née de l'agglomération de différentes communautés. Chaque communauté est restée à la fois voisine des autres et gardienne de ses propres traditions. Des rivalités de clans existent mais aucune culture ne prédomine ou ne s'approprie la ville. Sanji, informaticien indien très riche venu rejoindre son oncle Deepak à New York, n'a pas la bonne couleur de peau. La société américaine est profondément raciste. Une raison de l'élection de Trump, c'est la revanche des blancs après l'ère Obama. J'étais bien sous Obama, avec la sensation d'appartenir à une société qui évolue vers le bien. Ceux qui nient le réchauffement climatique sont fous. La suppression de 7 milliards de dollars d'aide à l'éducation des enfants les plus démunis illustre la vraie volonté du régime à ce que les pauvres restent pauvres et ignorants. La mentalité des ultra-républicains prolongent la volonté esclavagiste du sud, à vouloir avoir une main d'œuvre à bas coût.
© LP/Jean-Baptiste Quentin |
- Quel regard portez-vous sur Facebook ?
- Sanji veut créer un anti Facebook, un réseau social qui réunit des gens, non pas pour leurs ressemblances mais pour leurs différences. Je suis absolument convaincu que Facebook est une extraordinaire machine à haine. Il a énormément contribué à la montée des populismes, il a aidé Trump à arriver là où il est. (Marc) Zuckerberg s'est retrouvé devant des commissions parlementaires parce les faits sont tellement probants. La mécanique, telle qu'elle est conçue aujourd'hui, met les gens dans des boîtes, qui exclut, qui désunit ami les « amis ». Facebook est un réseau antisocial, un outil de ce régime autocratique. Il a incroyablement contribué à polariser la société en n'inondant les gens qu'avec l'information qui leur plaît.
© Editions Robert Laffont/Versilio |
- Avez-vous un compte Facebook ?
- J'y suis uniquement à titre professionnel, je réponds au courrier. Je n'ai pas de compte personnel. Et je ne veux pas que mes enfants y soient. Je ne leur ai pas interdit. Je leur ai expliqué pourquoi : que les gens vendent votre identité, votre vie privée, vous êtes prêt à faire cela ? L'affaire Cambridge Analatica c'est exactement ça. Cette entreprise privée a volé des données de millions d'utilisateurs, sans leur consentement, et les a vendues. Zuckerberg et ses lieutenants devraient être poursuivis en justice pour proxénétisme.
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