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Dorothée de Lieven, diplomate et icône du Concert européen

GothahistoireLivre

Rédaction

22 August 2024

Autant elle était célèbre au XIXe siècle, autant la princesse de Lieven (1785-1857) fut oubliée depuis lors. Cette femme d’une extraordinaire intelligence, dont l’origine balte et le mariage firent une sujette des Tsars, devrait être considérée aujourd’hui comme la plus parfaite expression de deux idéologies à la mode : la communauté européenne et le féminisme. Sans doute ces mérites essentiels furent-ils la cause de son effacement dans la mémoire collective. Elle était trop brillante, trop aristocrate et trop pacifique pour plaire aux foules qui, durant un siècle et demi, ont célébré tour à tour la Nation, la Victoire, l’autorité d’un Homme providentiel et le Populisme, avec des conséquences au fond desquelles nous barbotons encore.

Dans l’Europe de la Sainte-Alliance et des monarchies fastueuses, le peuple était à la fois un arrière-plan commode et de la chair à canon. Comment se reconnaîtrait-il en Dorothée de Benckendorff ? Issue d’une famille noble d’Estonie, qui joua un grand rôle à la cour des Romanov (ses deux frères furent de brillants généraux au service d’Alexandre Ier et de Nicolas Ier), rien ne la prédisposait à devenir une sorte de Brigitte de Suède, version mondaine, dont la puissance reposait sur l’analyse, la finesse et les relations de haut vol en matière de politique. Là où la Princesse du XIVe siècle lançait, comme des V2, certaines fatwas à l’encontre des souverains de son temps, Dorothée en imposait par sa supériorité intellectuelle, par la clarté de ses jugements et par la souplesse de ses interventions dans le chœur des élites gouvernementales.

Le Tsar Nicolas Ier © DR

Elle gérait admirablement son charisme, modulait en ut et en mi ses suggestions, connaissait parfaitement la psychologie des seigneurs et des ministres, tant anglais, français qu’autrichiens ou russes et s’arrangeait pour entretenir des amitiés utiles, à commencer par les épouses de ces ténors plutôt narcissiques avec lesquelles fonctionnait la solidarité féminine. Ajoutons qu’elle écrivait l’anglais et le français comme toute grande épistolière du Siècle des Lumières. Sa puissance naquit lors du Congrès de Vienne (1815) et trouva une merveilleuse terre d’accueil dans l’Angleterre de George IV où son mari était ambassadeur de Russie. La comtesse puis princesse de Lieven s’entendit à merveille avec un roi, débauché, abusif, mais intelligent, et garda en outre d’excellentes relations avec son gendre Léopold qui devint le premier roi des Belges. Son habileté à esquisser des pas de danse entre les Whigs et les Tories avait pour objectif principal de préserver la Paix et l’équilibre européen.

Napoléon III © DR

Une telle conscience politique la poussa même à devenir la maîtresse de Metternich puis de François Guizot face à des pays et à des régimes aussi différents que l’Autriche des Habsbourg et la France de Louis-Philippe. Élaborer des stratégies dans son cabinet de toilette, c’est bien, mais c’est infiniment plus efficace dans le lit d’un amant. Certes, le fond de son âme était russe (ou plutôt tsariste, car elle appréciait particulièrement les Romanov, bien qu’elle s’ennuyât à périr dans leurs palais extravagants), mais ce qui caractérise le personnage est une conscience aigüe de la stupidité des guerres. À plusieurs reprises, surtout lors de sa période française (de 1837 à 1857, où elle ne trouva rien de mieux que de tenir salon dans l’ancien hôtel de Talleyrand à la rue Saint-Florentin) elle parvint à juger la situation d’un point de vue supérieur. Il faut dire que son bailleur se nommait James de Rothschild dont la vocation fondamentale était européenne. C’est là qu’elle surpassa la plupart de ses contemporains.

Ce qui est remarquable dans cette vie, durant laquelle ses écrits ne furent que des lettres privées, c’est la continuité de son influence, une influence qui la faisait aimer autant que craindre, contrairement à la devise de Caligula : Oderint dum metuant.

Dès le début de l’ouvrage de Christophe Juban, nous rencontrons Dorothée de Lieven comme si nous la lisions dans un fumoir. Sa “rubrique du jour”, entremêlée de politesses, de propos de salon et de rêveries d’amour (une échappée pour cette femme cérébrale ?) est chaque fois d’une rare pertinence. Puis, de manière insensible, l’auteur développe son étude de la politique internationale et se permet d’ajouter l’histoire à la biographie. Grâce à lui, nous entrons de plain-pied dans cette série de congrès et de crises qui ont secoué l’Europe d’après Napoléon : le Congrès d’Aix-la-Chapelle, la Crise espagnole, l’Indépendance grecque, la Révolution de juillet, la Révolution belge, la Question d’Orient, les Mariages espagnols, les révolutions de 1848 et, in fine, la Guerre de Crimée qui fut pour Dorothée d’autant plus douloureuse que la Russie dut s’incliner devant la Turquie, la France de Napoléon III, l’Angleterre et… la Sardaigne.

Elle ne survécut pas longtemps à l’humiliation russe. Étant donné son éloignement depuis 1815, il est assez normal qu’elle ne fût pas devenue une icône chez elle au bord de la Baltique. Mais il est injuste que l’Europe contemporaine ait perdu la mémoire à son sujet, car une telle perspicacité, une telle capacité d’analyse ne peuvent laisser personne indifférent. Christophe Juban a eu raison de braquer les projecteurs sur cette femme extraordinaire.

Christophe Juban donnera une conférence sur Dorothée de Lieven au Cercle Royal Gaulois Artistique & Littéraire le mercredi 11 septembre prochain. Informations et inscriptions ici.

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Informations supplémentaires

Livre

Dorothée de Lieven, diplomate et icône du Concert européen

Auteur

Christophe Juban

Éditeur

Michel de Maule

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