Corinne Le Brun
06 October 2020
Une écriture poignante, parfaite pour décrire les bouleversements intérieurs des personnages face aux soubresauts de la vie. Un livre écrit sur la lenteur, au fil de plus de quatre cents pages : « c'est long de trouver sa propre voie, comment on accueille les bouleversements de la vie. Il aurait été assez difficile de faire un petit opus » prévient Véronique Olmi.
Eventail.be - Vous posez un regard à la fois enthousiasmant et mélancolique sur vos personnages. Etes-vous nostalgique des années 70 ?
Véronique Olmi - Cette période suscitait beaucoup d'espoir. C'était une société, après-guerre, très corsetée. Pompidou, de Gaulle n'étaient pas drôles, surtout pour les femmes. La condition féminine était très terrifiante. Il a fallu attendre très longtemps avant qu'on ait pu sortir du patriarcat et de la misogynie. Cet éclatement, cette libéralisation de l'avortement, de la contraception, cette façon pour la femme de se réapproprier son corps donc de son âme et de son destin, c'était assez joyeux. Sauf qu'après, on est rentrés très vite dans la société de consommation avec le mot progrès comme totem. On s'est cassé la figure, finalement. Sans compter le poids de l'église sur l'intimité des gens et comme cela entravait beaucoup d'élans vitaux, joyeux car c'était toujours assez menaçant.
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- Les trois sœurs se libèrent de leur éducation. Non sans difficultés...
- On a tous notre libre arbitre, on est dans une culture, dans une famille avec un contexte familial, religieux, moral. Puis on se rend compte que ce sont des codes, des conventions, parfois, des fables et que, autre chose est toujours possible, c'est vertigineux. Dommage que cette parole libératrice de Jésus-Christ « Aimez-vous les uns les autres » donne au fil des siècles naissance à une Eglise minée par un État du Vatican essentiellement composé d'hommes avec tous les abus que l'on sait. Je viens d'une famille catholique d'Aix en Provence. Je me souviens de mes parents écrasés par cette parole religieuse à laquelle ils croyaient et qui, pourtant, vient s'intéresser à toute votre intimité et face à laquelle vous êtes de toute façon toujours en tort.
- Sabine dit ne rien comprendre à l'amour ...
- Soi-même, on a du mal, quand on n'est pas dans les clous, à être bien avec ce qu'on vit, à être sans complexe. On est dans des positions qu'on n'a même pas envisagées pour nous puisqu'on est tellement nés avec une programmation. Il y a des tas de choses qui sont crispées. On a du mal à vivre des temps de célibat tant la société nous rappelle sans cesse que (seul) le bonheur possible est la vie en couple. Le mariage date du code civil , époque où l'on vivait moins longtemps. On disait on va s'aimer toute la vie mais elle est multipliée par trois aujourd'hui. Est-on obligés de voir la fin d'une union comme un échec, comme un camouflet? On peut se dire qu'on a fait un bout de chemin ensemble, tout simplement. On a du mal à revendiquer un bien-être si on n'est pas dans ce cadre terrible de l'amour fusionnel, du prince charmant qui va nous sauver, de l'homme protecteur qui va nous représenter socialement... Bien sûr, c'est bien mieux un amour partagé mais Il y a tellement d'autres de formes de vies et de partages que ce serait dommage d'être toujours dans des dictats de bien-être. On n'est pas sortis de là. Les journaux people ne parlent que de ça. Comme si à soi-même on ne se suffisait pas pour dire qui on est. Comme si, par soi-même, on n'est pas entier. Mais nous, nous représentons nous-mêmes !
- S'aimer en 1970, en 2020, est-ce différent ?
- En général, on laisse les gens s'aimer. On a le droit d'être homosexuel, de ne pas se marier, de ne pas avoir d'enfant...C'est un mieux. En revanche, il est effarant de constater l'impact du web sur les jeunes, la violence sexuelle et pornographique gratuites à laquelle ils sont confrontés. Cette agression fait de grands ravages psychiques, qu'il faut absolument réguler. Ce n'est vraiment pas un progrès. C'est un vrai danger pour les enfants aujourd'hui.
- Vous évoquez des figures politiques, culturels de l'époque... En quoi le contexte historique est-il important pour la fiction ?
- J'avais envie de travailler sur cet état permanent d'échanges entre l'intime et le public. Comment l'individu peut peser sur les décisions politiques et législatives et inversement comment le politique influe sur l'intimité de chaque être? Je ne pouvais pas me permettre de ne pas nommer les dirigeants qui étaient au pouvoir. C'est assez paradoxal: le gouvernement de Giscard d'Estaing de droite est finalement celui qui a fait beaucoup pour l'évolution de la femme : la majorité à 18 ans, le divorce par consentement mutuel, la dépénalisation de l'avortement, la contraception... En même temps, cette façon qu'il avait eue d'arriver au pouvoir, de se mettre en permanence en scène avec ses filles, les éboueurs... Pour moi, cette posture de petit roi fait écho à Emmanuel Macron qui est jeune, qui marche... Ces hommes de pouvoir, en France en tout cas, appartiennent encore à cette lignée de monarques. Quand il a fêté ses quarante ans au château de Chambord, Macron a clairement dit que la France manquait de roi. C'était un signe très fort...
Gisèle Halimi © DR |
- Vous faites référence à Gisèle Halimi, féministe de la première heure
- Je lui ai dédicacé et envoyé mon livre. Elle est morte un mois après. On l'a retrouvée en 1971 parmi les signataires du Manifeste des 343. Toutes ces femmes avaient avorté et donc violé la loi. Avocate engagée pour la cause féminine, Gisèle Halimi a remis en cause la loi de 1920 sur l'avortement. C'est une femme de passion, d'engagements réellement totaux, de vie entière. A chaque fois, elle défendait ses clients mais voulait légiférer. Lors de ce fameux procès du viol en 1978 à Aix en Provence dont les deux jeunes filles étaient belges, elle a dénoncé que ce fait était jugé en correctionnelle comme si on avait chapardé quelques pommes. Elle se donnait corps et âme pour que la société progresse.
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