Nathalie Dassa
22 December 2024
Jérôme Obiols fait partie de ces amoureux des grands espaces, des paysages, de la nature et de la beauté majestueuse des cimes enneigées. Un amour qu’il a, depuis sa plus tendre enfance, passée dans les Corbières, au pied des Pyrénées, où il partait chaque été faire des randonnées avec ses parents. C’est à Paris, pendant ses études, qu’il fait ses premières armes dans la photographie. En pur autodidacte, il arpente “les ruelles chères à Robert Doisneau et à Willy Ronis”, comme il le formule, manipulant l’argentique ainsi que le noir et blanc, véritable récurrence dans son travail. Il faut dire que Jérôme Obiols est un admirateur du travail emblématique d’Ansel Adams. En 2001, il s’installe à Lyon, puis se passionne pour les Alpes l’année suivante. Les glaciers, les vallées, les rochers, les lacs, les levers et couchers de soleil lui offrent un spectacle visuel en évolution constante, et c’est la révélation. S’il troque un temps l’appareil photo pour son métier d’alpiniste, parcourant des voies “où seuls certains initiés s’aventurent”, sa confrontation avec les hauts sommets le pousse à l’évidence. En 2013, il devient photographe professionnel.
© Regis Derimay
À travers la deuxième édition de son ouvrage Mont blanc – Origines, Jérôme Obiols apporte un regard personnel et singulier en forme de parcours d’altitude sur ce plus haut sommet d’Europe. Quand on lui demande ce qui le captive dans ce point culminant de la chaîne des Alpes, il répond simplement : “Le mont Blanc est mon massif de cœur”. Et de poursuivre avec enthousiasme : “J’étais fasciné par les grands photographes qui l’ont immortalisé, comme Pierre Tairraz et Mario Colonel. Il a quelque chose de particulier pour moi, car c’est ici que j’ai découvert les Alpes pour la première fois, en 1998. Ces immenses aiguilles de granit aux formes incroyables et ces grands glaciers m’ont captivé. Pour la petite histoire, je venais d’arriver dans l’appartement de mes amis, il faisait nuit. C’est en sortant sur la terrasse le lendemain matin que je me suis rendu compte que j’étais au pied de l’Aiguille verte avec des glaciers immenses au-dessus de ma tête. Ce fut un tel choc !”
Skieurs descendant l’arête exposée de l’Aiguille du Midi pour rejoindre la vallée blanche, dans le massif du mont Blanc. © Jérôme Obiols
Sur plus de 150 pages, il nous transporte ainsi de sommet en sommet entre glace, neige, minéralité et volutes nuageuses. Des images de paysages changeants et texturés qui montrent toute la puissance et la fragilité de la haute montagne. Jérôme Obiols ponctue ce périple blanc de textes qui retracent les grandes ascensions dans le massif. “Je voulais faire un beau livre sur le mont Blanc avec un fil rouge historique sur les origines de l’alpinisme, comme les pionniers Jacques Balmat et Michel Paccard en 1786. Le lecteur avance ainsi dans le temps en parcourant le massif en images. J’évoque les ‘derniers grands problèmes des Alpes’, à savoir les trois grandes faces nord de sommets majeurs qui restaient à conquérir dans les années 1930-1950 : le Cervin, l’Eiger et les Grandes Jorasses. Ces ‘problèmes’ consistaient à trouver l’itinéraire pour franchir les difficultés et atteindre les hauteurs.”
Le vent maudit se déchaine en altitude. Des glaciers torturés, il arrache des vagues de neige, et les transforme en nuages éphémères. © Jérôme Obiols
Dans ses prises de vue, Jérôme Obiols privilégie ainsi le le noir et blanc, où seules les nuances façonnent l’âme et la poésie du panorama brut. “Ce choix est un hommage aux photographes du siècle dernier, mais aussi une façon de donner un charme intemporel aux photographies, explique-t-il. L’absence de couleur impose au seul sujet, les montagnes, d’exprimer leur beauté sans fard ni artifice, que peut parfois apporter la couleur. J’ai appris à détecter si telle ou telle scène se prêtera bien au noir et blanc ou plutôt à la couleur. J’attends alors les conditions climatiques idéales, souvent pendant ou après une période de mauvais temps, pour laisser la nature m’émerveiller et témoigner de sa beauté éphémère.”
La lumière du couchant sur l'Aiguille du Peigne en automne. © Jerôme Obiols
Aujourd’hui, les glaciers des Alpes deviennent en effet les grands témoins immuables du changement clima-tique. Jérôme Obiols rend grâce à la résistance de ces montagnes, qui ne cessent d’imposer leurs conditions, nourries d’exploits et de drames. “Le réchauffement climatique a des impacts extrêmement visibles en haute montagne, insiste-t-il. Les glaciers reculent d’année en année et les éboulements sont fréquents, laissant partir en fumée des pans entiers de montagnes parfois chargés d’histoire. Il est impossible de l’ignorer tant ses effets sont visibles. En tant que photographe, il est de mon devoir de témoigner de cette période que nous vivons, car les paysages de haute montagne d’aujourd’hui ne seront malheureusement plus ceux de demain.”
Aiguilles de Blaitière et du Plan, sur les hauteurs de Chamonix, au coucher de soleil © Jérôme Obiols
Pour Obiols, c’est l’évidence. Les glaciers feront l’objet d’un nouveau projet. “Ce sont surtout les petits qui m’intéressent. Pas vraiment les grands, comme la Mer de Glace, car tout le monde les connaît. Ceux à moins de 3 000 mètres d’altitude vont disparaître d’ici une trentaine d’années, comme les Aiguilles rouges.”
Ce serait ainsi une continuité à ses trois livres parus. Mont blanc – Origines est déjà une suite à l’ouvrage De Rocs en cimes, son galop d’essai auto-édité où il capturait les Écrins et le mont Blanc au moment où “les nuages et la lumière s’unissent au minéral”. Avec La Photo de montagne par l’exemple, édité par Compétence Photo, il “boucle la boucle” de son approche de la photographie et de l’alpinisme. Ce guide 100% pratique invite les passionnés à parfaire leurs prises de vues en montagne, qu’il s’agisse de photos de jour en noir et blanc, de l’ultra grand angle renforçant les perspectives ou de captures de nuit pour saisir la Voie lactée.
Vue à travers la forêt sur une mer de nuages sur l’Aiguille Verte et les Aiguilles de Chamonix depuis Combloux © Jérôme Obiols
Si sa prédilection pour le noir et blanc accentue toute la dualité des montagnes, entre beauté et noirceur, Jérôme Obiols prend également le temps de saisir les textures et les tonalités saisonnières. De la fin d’automne à l’arrivée de l’hiver à travers les teintes orangées, de la blancheur immaculée de la neige aux couleurs chaudes de la nature verdoyante, des éclats dorés de l’aube aux jeux d’ombres et de lumières de la journée qui se déroule. “Je m’attache à avoir des compositions très soignées et fortes. Cela fait partie de ma culture photographique, à l’image d’Ansel Adams. Que ce soit la lumière ou les touches de couleurs, je compose toujours une photo en la disposant dans le cadre pour un ensemble harmonieux.”
Vue sur Courmayeur et le val d’Aoste en hiver depuis la Pointe Helbronner. Ville éclairée en soirée surplombée de montagnes enneigées. Massif du Mont-Blanc. © Jérôme Obiols
Pas étonnant que son travail ne cesse d’être exposé (Montier-en-Der, Namur) et récompensé (Fine Art Photography Awards, Memorial María Luisa Photo and Video Contest). Cet amoureux fou de la photographie alpine continue de percer les secrets et mystères de ces paysages européens en mouvance qu’il n’a pas fini de sonder. “Ces montagnes sont si vastes et magnifiques que je ne ressens pas le besoin d’aller voir ailleurs, même si, au fond de moi, j’adorerais pouvoir photographier les grands sommets himalayens. Mais un travail de fond, non compatible avec une visite de quelques semaines, voire de quelques mois, me serait nécessaire pour traiter ce sujet avec la rigueur et la quête de perfection qui m’anime.”
Et lorsqu’on le questionne sur la portée symbolique et significative la haute montagne, il se confie avec sagesse et humilité. “C’est un endroit inaccessible au non-initié. L’homme n’y a pas sa place, il est toléré. C’est la montagne qui choisit si les conditions sont bonnes et réunies pour l’affronter. Cela demande des techniques et une véritable maîtrise de l’alpinisme. Je l’ai appris en le devenant. Quand on commence à être autonome et à avoir les moyens de s’y confronter seul, on découvre des choses que le commun des mortels ne voit pas et ne peut que contempler à distance. Pour toutes ces raisons, c’est un immense privilège.”
Mont blanc – Origines, (2e édition), SpotÉditions, septembre 2024, 156 p., 92 photos, 55€
Photo de couverture : © Jérôme Obiols
Site
Livre
Mont blanc – Origines
(2e édition), SpotÉditions, septembre 2024, 156 p., 92 photos, 55€
Publicité