JC Darman
21 March 2022
L’hypocondriaque Argan, son entourage et les situations dépeintes dans Le Malade imaginaire ne sont-ils pas des réalités de notre temps ? Dans le cas de la cuisante satire des médecins et de la médecine qui constitue l’argument même de la pièce, l’intemporalité des personnages est rendue plus évidente encore par la pandémie que nous traversons. N’a-t-elle pas mis en lumière les limites actuelles des sciences médicales, le cynisme de leur commerce, la présomption et la suffisance de certains spécialistes et les avis péremptoires diamétralement opposés de certains scientifiques ? De même, lorsque Argan demande « Que faire donc quand on est malade ? » et que son frère Béralde lui répond : « Rien. Il ne faut que demeurer en repos…et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladie. », ne se rapproche-t-on pas de certains arguments des « antivax » ?
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La mise en scène de Stéphanie Moriau fait ressortir cette modernité de Molière en étant parfaitement respectueuse de l’œuvre, dans l’esprit et la lettre. Sa réalisation est éminemment féminine, dans le meilleur sens du terme, et proche d’une conception de Louis Jouvet qui pensait que le théâtre doit être propulsé par un sentiment et non par la raison. Son excellente interprétation de la servante Toinette paraît refléter ce concept. Tout comme celle de Michel de Warzée qui reprend brillamment son rôle d’Argan en y apportant toute la drôlerie populaire de la farce. Il devient même émouvant lorsque cet homme, en vérité naïf et bon, réalise la supercherie et la fausseté de sa femme Béline. C’est Karin Clercq qui interprète avec une chaleur bien calculée cette Béline hypocrite qui appelle son mari « mon fils », le considère comme un enfant et se réjouit de sa (fausse) mort. Elle a un complice, Monsieur Bonnefoy, son notaire (voire davantage ?) joué avec malice par Bernard d’Oultremont. Ce dernier est aussi Monsieur Fleurant, l’apothicaire armé de sa grande seringue pour administrer « une potion ascendante ».
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Toute la distribution est brillante. On y retrouve quelques valeurs sûres du théâtre belge. Par exemple, Alexandre von Sivers qui joue avec une certaine ironie jubilatoire contenue Béralde, le frère d’Argan. C’est lui qui préconise comme seul remède à la maladie de « voir quelques-unes des comédies de Molière ». C’est Bruno Georis qui interprète avec beaucoup de drôlerie le docteur Diafoirus. Nicolas Vanderstraeten joue de manière tout aussi cocasse son fils, Thomas Diafoirus, « un grand benêt nouvellement sorti des écoles », qu’Argan, à la recherche d’un gendre médecin, veut imposer comme mari à sa fille Angélique (Lara Beyer). Sans succès, celle-ci étant éprise de Cléante (Cyril Collet). Thomas fait ses compliments à Angélique en lui récitant un cours d’anatomie et en l’invitant, en guise de rendez-vous galant, à la dissection d’un cadavre de femme… Enfin, Monsieur Purgon, autre médicastre d’Argan, est incarné par Marcel Delval. Le rôle est beau, Molière l’ayant façonné pour qu’il suscite de la part du public un mépris sardonique pour la gent médicale.
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Enfin, une mention spéciale pour les très jeunes Juliette de Warzée et Ysaline Ghyoot, interprétant en alternance Louison, la cadette des filles d’Argan.
Le décor de Serge Daems est élégant et lumineux (en dépit de gros problèmes d’électricité dans la commune qui ont un moment plongé le théâtre dans le noir complet le soir de la première). Bruno Smit, en régie, a donc eu bien du mal à assurer ses éclairages, par ailleurs très soignés.
Pièce
Le Malade Imaginaire, de Molière
Mise en scène
Stéphanie Moriau
Théâtre
Comédie Royale Claude Volter
Avenue des Frères Legrain, 98
1150 Woluwé-Saint-Pierre
Dates
Du 16/03 au 03/04 et du 19/04 au 30/04
Billeterie
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