Jean Schatz
25 February 2022
La première pompe à eau parisienne voit le jour au début du XVIIe siècle, à deux pas du Pont Neuf. Elle est baptisée Samaritaine en référence à la femme que Jésus rencontre au bord d’un puits, dans l’Évangile selon saint Jean. La fontaine disparue, son nom est repris par Ernest Cognacq pour la boutique qu’il ouvre en 1870. Au tournant du siècle, elle est devenue un grand magasin sous la houlette de Marie-Louise Jaÿ. Épouse du propriétaire, elle a fait ses armes chez la concurrence de la Rive Gauche, en tant que première vendeuse au Bon Marché.
La façade de la rue rivoli habillée d'une vague de verre, œuvre du cabinet d'architecture japonais Sanaa. © JND
La Samaritaine ferme ses portes en 2005, quatre ans après son acquisition par LVMH. L’enseigne est déficitaire et le bâtiment doit être mis aux normes incendie. C’est l’occasion de réaliser le rêve de Bernard Arnault. Le permis de construire est accordé en 2012, après sept ans de tractations avec la municipalité et de bataille juridique. Ce n’est pas le premier conflit autour de la Samaritaine. Dans les années 1920, la construction par Henri Sauvage de l’immeuble Art déco qui domine le quai du Louvre a donné lieu à des négociations à couteaux tirés avec la mairie et les riverains. Cent ans plus tard, la pomme d’or de la discorde est la façade qui domine la rue de Rivoli. Une vague de verre, œuvre du cabinet d’architecture japonais Sanaa. La France leur doit le Louvre Lens et les États-Unis le New Museum of Contemporary Art de New York. La délicatesse translucide et le jeu de reflets avec les immeubles alentour ne convainquent pas certains amateurs de patrimoine. Des recours sont déposés devant le tribunal administratif. Pour Julien Lacaze, président de l’association Sites et Monuments, ” (…) les gestes architecturaux doivent être comptés, réservés à des bâtiments d’intérêt public”. Les plaignants obtiennent gain de cause en première instance, puis en appel. C’est compter sans l’armée d’avocats engagée par LVMH. La bataille juridique fait rage jusqu’au conseil d’État, qui valide le permis de construire. Il s’agit de raser un bâtiment du XIXe siècle. Si les bâtiments anciens n’étaient jamais détruits, ceux qui charment aujourd’hui n’existeraient pas. Les immeubles haussmanniens qui font le charme de la capitale sont aussi nés sur les décombres d’un plus vieux Paris.
Hybride d’histoire et de modernité, la Samaritaine ne détonne pas entre le Louvre et le Centre Pompidou.
Il aura fallu 4 ans à l'atelier Bouvier pour rendre la splendeur à la fresque de 115m2. © JND
À la construction du nouveau bâtiment s’ajoute la restauration des immeubles emblématiques de la Samaritaine : les bâtiments Art nouveau et Art déco de Frantz Jourdain et Henri Sauvage. L’architecte Christian Reyne, collaborateur de Frank Gehry pour la construction de la Fondation Louis Vuitton, prend les rênes de ce chantier. L’étude des archives révèle l’apparence originelle des structures. Le garde-corps de l’escalier monumental retrouve l’éclat de milliers de feuilles d’or et les céramiques noyées sous la peinture revoient le jour. Des centaines d’artisans affluent de toute la France pour ce chantier démesuré. Les paons paradent à nouveau sous la verrière du bâtiment Jourdain. Il aura fallu quatre années de travail à l’atelier Bouvier pour rendre sa splendeur à la fresque de 115 m2 emblématique du magasin. On peut regretter que tant de talents et d’argent soient mis au service de la société de consommation, mais le résultat éblouit. Il crée aussi 3000 emplois.
Alliage d’œuvres historiques et de génie moderne, l’harmonie de la nouvelle Samaritaine adoucit ce qu’un temple élevé à la gloire de la consommation pourrait avoir de vulgaire.
La nouvelle Samaritaine c'est 20 000m2 d'espace de vente dédié au marché du luxe. © JND
Un palace de 72 chambres, 15 000 mètres carrés de bureaux, une crèche et des logements sociaux. C’est une facette de la nouvelle Samaritaine, moins visible que les 20 000 mètres carrés d’espace de vente dédiés au marché du luxe. Les magasins, sans murs ni plafonds, semblent se déverser les uns dans les autres. Les frontières tombent dans le monde de la mode et la clientèle passe de griffe en griffe sans s’en apercevoir. L’écueil de l’ostentation est évité grâce à la cohérence esthétique de l’ensemble. Sobriété dans la splendeur. Ce n’est pas une juxtaposition de boutiques, c’est un grand magasin. On en remercie Éléonore de Boysson, patronne du leader mondial de la vente de produits de luxe DFS, qui l’a conçu et le gère.
On trouve tout à la Samaritaine… si on ne regarde pas à la dépense. C’est la renaissance du grand magasin à la française, naufrage des fortunes coquettes et promenade rêveuse pour les passants amateurs de splendeur.
En couverture : Vue intérieure du grand magasin de luxe Samaritaine sur la rive droite de la Seine à Paris, France. © DR
Adresse
La Samaritaine
9 rue de la Monnaie
75001 Paris, Paris
Horaire
Ouvert tous les jours de 10 h à 20 h.
Téléphone
+33 1 88 88 60 00
Sur internet
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