Christophe Vachaudez
31 July 2020
Au fil d'un parcours foisonnant, lieux de vie et ateliers se dévoilent, mis en scène avec un goût impeccable. Ils dépeignent avec véracité l'existence des plus humbles aux plus nantis, de 1800, au lendemain de la Révolution, à 1950, quand le pays renaît des affres de la guerre. Les objets se comptent par milliers et les informations se télescopent joyeusement...mais rien ne presse, il faut savourer la visite éminemment intéressante où les œuvres d'art côtoient outils et décors originaux, rescapés d'un monde révolu et pourtant si proche.
D'emblée, l'un des premiers intérieurs nous plonge dans le quotidien précaire d'une famille paysanne. Le berceau en hauteur préserve les nourrissons des rats tandis que le feu frémit dans l'âtre car le papier huilé qui remplace les vitres des fenêtres retient à peine le froid. Les lits sont fermés pour garder la chaleur et les poules dorment sont perchées sur leur jouc. Point d'assiettes sur la table mais des emplacements prévus dans le bois pour recevoir les aliments. Plus loin, araires, trépigneuse, locomobile et tarares en bois évoquent les champs où en 1900, il fallait un mois pour moissonner un hectare alors que trente minutes suffisent aujourd'hui. Le carrier face au char funèbre, précède à propos la chapelle, la boutique du photographe et le relais de poste. Dans la cuisine, trônent les escargotières, les tripières, les pains de sucre et les séchoirs à fromage.
© Frederic Ducout |
Plus avant, les moules à beurre insculptés, les botte-cul pour traire les vaches, les échasses des bergers landais évoquent encore le monde rural qui s'explore via d'autres pistes chez le tonnelier, le rétameur et le maréchal ferrant dont l'atelier abrite l'antique porte de la prison de Saint-Flour ! Impossible de tout énumérer car déjà les patenôtriers succèdent aux tuiliers, ferblantiers, bourreliers, cloutiers, taillandiers, chainiers, vanniers, résiniers, peaussiers, jouguiers et autres charrons. L'officine de l'apothicaire, l'antre poétique de la modiste, l'étal du boucher qui assomme le bétail en rue avec son merlin, rien ne manque à ce panorama fouillé, didactique et tellement chaleureux. Grâce au soutien indéfectible de son époux et à cette énergie indomptable qui la caractérise si bien, la comtesse de Witt a mené à bien cette aventure riche en rebondissements qui donne à ce village qui lui est cher un nouveau pôle et même un restaurant baptisé « Chez Grand'Mère ». Elle a confié à L'Éventail les prodromes et les détails de cette entreprise titanesque
© Frederic Ducout |
Eventail.be - Madame, quel a été votre parcours ?
Comtesse Viviane de Witt - Après une licence en droit et un diplôme de commissaire-priseur, j'ai été la première femme à manier le marteau à Drouot. J'ai toujours collectionné et je m'intéresse à tout, qu'il s'agisse de l'art contemporain ou des souvenirs napoléoniens. Il est vrai que mes parents m'ont éveillé l'esprit. Ma mère m'emmenait chez les antiquaires le week-end tandis que je m'accompagnais mon père dans les salles de ventes.
- Pourquoi ce musée a-t-il vu le jour ?
- Mon petit-fils, Arnaud de Turckheim, m'a un jour posé des questions sur la vie d'autrefois, alors qu'il séjournait aux Ormes-sur-Voulzie, là où j'ai passé une partie de mon enfance. Je lui ai alors raconté que notre pelouse, par exemple, qui parait impeccable aujourd'hui, était à l'époque fauchée deux fois l'an par un cheval de la ferme guidé par un métayer. De même, nous n'achetions pas les sachets de tilleul en boutique mais on grimpait dans les arbres pour les récolter, les faire ensuite sécher afin de les conserver pour les infusions. Il était un peu déçu que je n'aie pas transmis ce quotidien d'autrefois à sa mère et il m'a alors dit : « Comment pourrais-je à mon tour le transmettre à mes enfants ? Tu fais partie de la dernière génération qui a été témoin de ces métiers ». Je lui ai alors répondu qu'il existait près de 330 écomusées en France. Et il m'a fait remarquer que voir trente marteaux sur un mur blanc n'intéressera personne et que ces écomusées n'assuraient pas vraiment la transmission. « Tu devrais ouvrir un musée ! » m'a-t-il rétorqué. Voilà qui était certes plus facile à dire qu'à faire.
© Frederic Ducout |
J'y ai réfléchis et j'ai réalisé que le village risquait de mourir et de devenir une cité dortoir de la région parisienne. Le boucher avait disparu, le boulanger avait pris sa retraite et le café, centre de la vie sociale d'un village, n'existait plus. Et puis, il n'y a jamais de hasard, le maire me téléphone pour m'informer de la fermeture de la boîte de nuit et de la vente du bâtiment. Je me suis dit que cela pourrait constituer le noyau du musée. Et tout commença de cette façon. Il a fallu tout aménager et nous avons racheté des terrains, des maisons mais aussi des collections de musées qui fermaient leurs portes, un en Corrèze, et l'autre en Auvergne. Nous avons aussi reçu beaucoup de dons et nombre de bénévoles sont venus nous soutenir. La halle a finalement été construite. Le plus difficile fut sans doute de se battre contre les règlements drastiques auxquelles sont soumis les établissements ouverts au public. Certains abandonnent mais mon mari et moi avons persévéré pendant dix ans ! La scénarisation nous a pris deux ans et demi. Mais si l'on veut voir le côté positif des choses, j'ai mis à profit toutes ces années pour me documenter et lire énormément de mémoires et de chroniques. J'ai aussi établi un Fonds de dotation, ce qui pérennise le musée et empêche son démantèlement.
© Frederic Ducout |
- Quand le musée a-t-il été inauguré ?
- En octobre 2017. Les gens du village, nos amis et nos proches sont tous venus en costume d'époque, entre 1800 et 1950, partager ce moment avec nous autour d'un triple buffet : corse, briard et périgourdin. La garde impériale d'Ajaccio avait même fait le déplacement !
Musée de la Vie d'Autrefois www.museedelaviedautrefois.comLes Ormes-sur-Voulziedu mardi au dimanche, de 9h30 à 19h00Publicité