Sylvie Dejardin
10 January 2023
L’Éventail – Votre livre met en lumière les dysfonctionnements dans la prise en charge des patients, une certaine défiance vis-à-vis de la médecine traditionnelle, voire l’engouement pour les médecines dites “douces” ou “alternatives”. Quel est votre point de vue de médecin ?
Alain Toledano – Je ne parlerais jamais de médecines douces ou alternatives, car le plan sémantique on se positionnerait de façon clivante. La médecine est l’ensemble des moyens qui sont mis en œuvre pour soulager, prévenir et traiter les maladies, les blessures, les infirmités. Les mots soignent mais ils tuent aussi. Il n’y a pas de raison de créer un parallélisme ou une alternative à la définition de ce qu’est la médecine qui est “une”. L’intégration des interventions non médicamenteuses est complémentaire. Cette sur médecine doit être intégrative. On doit s’occuper de la maladie avec ce que la science nous offre de mieux, mais aussi et avant tout du patient. Le “prendre soin” a ici tout son sens.
– Vous parlez des émotions exprimées par le patient dans votre livre. Une consultation de 15 minutes chrono laisse-t-elle la place aux sentiments et aux confidences ?
– En moyenne, le médecin coupe la parole à son patient au bout de 23 secondes avant de poser son diagnostic. Le philosophe Emmanuel Levinas parlait de “l’éthique d’autrui”. Nous avons un devoir vis-à-vis de l’autre qui est plus fragile, en travaillant avec un cadre affectif, un socle sentimental, l’humeur du jour qui est finalement la répétition des émotions de base. Le travail sur les affects, les ressentis, c’est un vrai sujet. Nous traitons le risque et sa perception par le patient. Les gens sont souvent emprisonnés dans leur peur qui ne se limite pas uniquement à la maladie. Il y a aussi des sentiments d’isolement, des choses qui minent et dépassent le cadre de la physique pure. C’est plutôt la promotion de l’individu de façon globale, d’une posture par rapport à celui-ci, d’une qualité d’écoute, de présence, de considération, d’une dimension sociale par rapport à la relation à l’autre avec une nouvelle éthique du care, du prendre soin. Il y a des valeurs de société qui pourraient s’imposer comme la disponibilité affective, la responsabilité émotionnelle. Tout cela modifie le rapport à l’autre. La doctrine philosophique de notre société est toujours tournée vers la consommation, le droit et la responsabilité, et pourrait être tournée vers le devoir et l’engagement moral, le devoir vis-à-vis de l’autre.
– En décembre 2018, l’Institut Rafaël a vu le jour près de Paris. Ce centre de médecine intégrative accueille aujourd’hui de nombreux patients. Quel est l’objectif de cet institut ? Comment est-il financé ?
– Raphaël est l’ange de la guérison. Avec une équipe de soignants, nous avons décidé de coconstruire un nouveau parcours d’accompagnement orienté vers la nutrition, la gestion des émotions, l’activité physique, le bien-être, l’écoute, le retour à l’emploi. Nous voulons passer d’une médecine centrée sur la maladie à une médecine centrée sur l’individu et son projet de vie. En trois ans et demi, nous avons accueilli 3200 nouveaux patients et offert gratuitement 52 000 soins afin de n’exclure personne. Pour nous financer, nous avons fait appel à la générosité de mécènes, aux dons de particuliers mais aussi d’entreprises. Nous voulons offrir ce système à tous les patients souffrant de maladies chroniques et de cancers. Nous avons pu démontrer les bénéfices en termes de diminution de dépression, de troubles du sommeil, du transit, de sentiment d’isolement… Tous ces symptômes sont parfois négligés et ne peuvent être traités uniquement par voie médicamenteuse. Ils nécessitent une approche qui demande du temps et qui considère l’autre dans sa plénitude.
En France, le budget de la santé représente 260 milliards d’euros. Une partie du personnel médical est en crise de sens. Il faut penser prévention, réhabilitation et surtout se focaliser sur une médecine centrée sur l’humain et pas seulement sur la maladie. Pour améliorer notre système, il faut penser à le changer pour qu’il soit plus performant. Une boîte sur deux de médicament est jetée à la poubelle, soit 7 milliards d’euros qui disparaissent. Ceci pourrait financer une prise en charge plus globale et pérenne. Les maladies chroniques comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires coûtent très cher. Pré-venir en amont permettrait de réduire les dépenses en aval. C’est tout un système qu’il est important de revoir et réformer.
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