Martin Boonen
27 February 2025
L’intelligence artificielle, souvent perçue comme une entité capable de comprendre et de raisonner, repose en réalité sur des modèles statistiques et probabilistes. David Grunewald explique : “C’est un outil de recherche basé sur un modèle statistique alimenté par un data set, il recompose des phrases sans les comprendre, mais qui ont une exactitude, parce que par rapport à tout ce qu’il a observé et tout ce qu’il a lu, ça va être potentiellement juste.” Cette approche, bien que limitée, permet à l’IA de générer des réponses cohérentes et pertinentes, tout en restant tributaire des données sur lesquelles elle a été entraînée. Par exemple, lorsqu’un modèle d’IA est sollicité pour rédiger un article, il s’appuie sur des milliers de textes similaires pour structurer et formuler sa réponse, sans pour autant comprendre le contexte ou l’intention derrière les mots.
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Ce processus de “tokenisation” permet à l’IA de décomposer une phrase en unités plus petites, appelées tokens, et de prédire la probabilité de chaque mot suivant dans une séquence. Cela signifie que chaque mot généré est choisi en fonction de sa probabilité d’apparaître après les mots précédents, basée sur les données d’entraînement. Ainsi, l’IA ne comprend pas le sens des mots, mais elle peut produire des phrases qui semblent cohérentes et logiques grâce à des schémas statistiques complexes.
Cela dit, aussi “probable” que peut l’être ses modèles, l’IA n’est pas exempte de défis, notamment celui des “hallucinations” – des réponses qui semblent cohérentes mais sont en réalité incorrectes. Il s’agit d’informations incorrectes ou trompeuses qui ne correspondent pas à la réalité. Elles se manifestent sous forme de résultats erronés, absurdes ou dénués de sens. Le piège, c’est que ces erreurs peuvent apparaître au milieu d’un texte contenant des informations véridiques, les rendant difficiles à détecter. Elles sont d’ailleurs présentées par les IA de manière convaincante et argumentée, comme s’il s’agissait d’éléments véridique. Chiffres, noms, contextes, situations, des éléments purement imaginaires peuvent donc se glisser dans la réponse que vous avez posé à une IA. L’existence de résultats potentiellement hallucinés doit inciter tout le monde à la plus grande prudence au moment d’utiliser les résultats d’une requête soumise à une IA.
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Ces hallucinations peuvent survenir lorsque l‘IA est confrontée à des données incomplètes ou ambiguës, ou lorsqu’elle est sollicitée pour générer des informations sur des sujets pour lesquels elle n’a pas été suffisamment entraînée. “Les IA hallucinent en toute bonne foi, explique David, parce qu’elles manquent d’information, ou parce qu’elles tombent sur un assemblage de mots ou de chiffres qui sont statistiquement cohérents dans son modèle et et selon son data set, mais qui n’existe pas réellement“. Ces hallucinations se manifestent, en fonction des IA, dans 3 à 30% des réponses à des requêtes. Pour contrer ce problème, des techniques comme le “chain of thought” peuvent être employées pour forcer l’IA à raisonner étape par étape, réduisant ainsi les erreurs et améliorant la précision des réponses. Les chercheurs aussi travaillent activement à minimiser ce phénomène, mais il reste un défi majeur pour l’avenir de l’IA.
Mais si les IA sont capables d’halluciner, donc d’inventer des référence qui n’existent pas, qu’en est-il de leur capacité à créer ? David Grunewald commence par rappeler que les contenus généré par l’IA sont effectivement des contenus uniques. “Un même prompt utilisé 10 fois générera 10 réponses uniques,” affirme-t-il. Cependant, il suffit d’utiliser basiquement les IA génératives dans plusieurs domaines (texte, image, son) pour se rendre compte qu’elles ne font que ressasser des éléments déjà connus qu’elles réarrangent à l’infini pour générer de nouveaux contenu. Quid alors d’une véritable création ? À cette question David Grunewald rappelle que l’être humain ne procède fondamentalement pas de manière très différentes dans son propre processus de création : “Quand on crée, on va toujours se baser sur des référents. C’est impossible de créer quelque chose sans avoir consciemment ou inconsciemment, des références en tête. Si je demande à n’importe qui de développer une image, une idée d’une image, sur un sujet, c’est tout ce qu’ils auront vu pendant la journée ou pendant la semaine précédente, leur éducations, leur histoire, leur savoir, de manière inconsciente, qui vont influencer la nouvelle création qu’ils vont produire. Et dans l’IA, c’est exactement le même phénomène, si ce n’est que les référents, ce n’est pas juste quelques références, ce sont des milliards de références.“
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En revanche, la collaboration entre l’IA et l’esprit humain ouvre peut être une nouvelle voie, de nouvelle perspectives à la création, en mettant au service de tous les créateurs, l’ensemble de l’immense savoir contenu dans les IA. Cela pourrait potentiellement déboucher sur de nouvelles formes d’expression artistique, où l’IA peut, au lieu de la suppléer, augmenter la créativité humaine. David Grunewald image son propos : “Par exemple, un artiste pourrait utiliser l’IA pour explorer des variations de style ou des combinaisons de couleurs qu’il n’aurait jamais envisagées seul, enrichissant ainsi son processus créatif. L’IA peut également être utilisée pour générer des idées nouvelles en combinant des éléments de différentes sources. Ou alors, un designer pourrait demander à l’IA de créer un concept visuel en fusionnant des éléments de l’art déco avec des motifs futuristes, aboutissant à une esthétique innovante qui n’aurait pas été envisagée sans l’intervention de l’IA. Ou encore, un musicien pourrait utiliser l’IA pour générer des mélodies inspirées de plusieurs genres musicaux, créant ainsi un style unique qui n’aurait pas été possible sans cette collaboration technologique.“
L’essor de l’IA soulève des questions cruciales concernant les droits d’auteur et la propriété intellectuelle. David Grunewald a les idées claires sur ce sujet : “la législation actuelle sur le droit d’auteur reste en vigueur, et tout plagiat, même par l’IA, est condamnable. Cependant, les détenteurs de droits peuvent utiliser l’IA pour créer de nouvelles œuvres à partir de leurs catalogues, tant qu’ils respectent les droits existants.”
La communauté artistique, elle, en revanche, est divisée sur cette question. Certains y voient un danger pour leur métier, tandis que d’autres considèrent l’IA comme un tremplin vers de nouvelles formes de créativité.
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David Grunewald insiste sur l’importance de l’éducation pour permettre aux individus de tirer pleinement parti de l’IA. “L’impact de l’éducation, la façon dont nous encourageons nos étudiants à utiliser l’IA pour penser le monde de demain, va être déterminante,” affirme-t-il. En formant des citoyens capables d’interagir efficacement avec l’IA, l’Europe pourrait se distinguer sur la scène mondiale, non pas par la technologie elle-même, mais par les compétences et les soft skills de ses utilisateurs. Par exemple, intégrer l’IA dans les programmes éducatifs permettrait aux étudiants d’apprendre à formuler des requêtes précises et à évaluer la pertinence des réponses générées, développant ainsi un esprit critique essentiel dans un monde de plus en plus numérique.
L’éducation pourrait également inclure des modules sur l’éthique de l’IA, enseignant aux étudiants à reconnaître et à éviter les biais potentiels dans les données utilisées par les modèles d’IA. Cela permettrait de former des utilisateurs responsables, capables de maximiser les avantages de l’IA tout en minimisant ses risques.
L’écosystème des IA est actuellement en pleine effervescence, avec des milliers de solutions et d’outils disponibles. David Grunewald souligne l’importance de ne pas attendre passivement que cet écosystème se simplifie, mais plutôt de s’impliquer activement dès maintenant. “Attendre et regarder le train passer, c’est prendre de le risque de ne plus pouvoir le prendre en marche parce qu’il ira trop vite” prévient-il. En s’appropriant les outils actuels, même imparfaits, les utilisateurs peuvent développer des réflexes et des compétences qui seront précieuses à mesure que la technologie évolue. Par exemple, les entreprises qui intègrent l’IA dans leurs processus dès aujourd’hui seront mieux préparées à tirer parti des avancées futures, tout en restant compétitives sur le marché.
David Grunewald, expert en stratégie digitale et fondateur de Pluginto.ai © DR
L’écosystème des IA est également marqué par une concurrence intense entre les grands acteurs comme OpenAI, Anthropic, ou Gemini, ainsi que par l’émergence de nouvelles solutions innovantes. Cette dynamique pousse les entreprises à constamment innover et à améliorer leurs produits, offrant ainsi aux utilisateurs des outils de plus en plus performants et adaptés à leurs besoins.
L’intelligence artificielle est à un tournant de son évolution, promettant de transformer la manière dont nous créons et interagissons avec le monde. Selon David Grunewald, il faut embrasser cette technologie avec curiosité et discernement, en reconnaissant à la fois ses potentialités et ses limites. En intégrant l’IA dans nos processus créatifs et éducatifs, nous pouvons non seulement enrichir notre expérience humaine, mais aussi façonner un avenir où la technologie et la créativité se complètent harmonieusement. L’avenir de l’IA réside dans notre capacité à l’utiliser comme un outil pour repousser les limites de notre imagination et de notre compréhension du monde
Article écrit avec le concours de plusieurs intelligences artificielles
Sur internet
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