Martin Boonen
21 March 2025
En passant les portes de Kokotte, l’espace qu’Hub.brussels met à disposition de jeunes restaurateurs désirant tester leur concept sans risque et à moindre coût, une question nous traverse l’esprit : “mais qui vient encore manger rue des Bouchers ?”. La petite ruelle pittoresque n’a en effet, aux yeux de nombreux bruxellois, plus grand chose à offrir si ce n’est un tableau de carte postale un peu fanée dans lequel déambule une marée de touristes, perdus entre la rue Neuve et Manneken Pis. Mais question restauration, pas grand chose d’intéressant à se mettre sous la dent. Même des icônes du centre ville comme Chez Léon où les Armes de Bruxelles, ont pâli, noyées dans la foultitude de restaurants moyennement belge (malgré les promesses des ardoises sur le pavé centenaire) et dont le succès tient plus au culot des rabatteurs devant leur devanture qu’aux talents des chefs en cuisine.
© Barth Decobecq
C’est donc dans ce contexte que la cheffe Aurélia d’Hollander a installé Frondes, pour 4 mois, après avoir testé son concept de restaurant végétarien à Schaerbeek en 2024. C’est à sa victoire à Be Cheffe, le concours culinaire 100% féminin organisé par la Fédération Horeca Bruxelles. dont l’objectif est de valoriser et promouvoir les talents féminins dans le secteur de l’Horeca, tout en mettant à l’honneur une gastronomie inclusive, durable et accessible, qu’Aurélia d’Hollander doit cette opportunité.
La cheffe Aurélia d'Hollander © Barth Decobecq
La promesse de Frondes : une cuisine bistronomique végétarienne innovante, mettant en valeur la richesse des saisons, la cueillette sauvage et des ingrédients locaux de qualité. Pas grand chose à dire sur le pitch, c’est celui d’un restaurant engagé et bien dans son époque.
Évidemment, comme il s’agit d’un restaurant éphémère destiné à voir les chefs et cheffes se succéder dans sa cuisine, les possibilités de personnaliser la petite salle de 30 couverts sont plus limitées que dans son propre restaurant. Qu’à cela ne tienne, Frondes met en place un décor simple, moderne mais chaleureux et lumineux dans lequel on se sent loin des vieilles maisons bruxelloises du centre-ville. Seule l’étroitesse du bâtiment nous rappelle que nous nous trouvons au cœur du Bruxelles historique.
Steaks de céleri rave, émulsion ail fumé, pickles de graines de moutarde, mouron des oiseaux © DR
La carte, simple mais efficace, refuse de décliner ses propositions en entrées ou en plats. Ici – c’est à la mode – tout se partage tout au long du repas. La maîtresse d’hôtel nous recommande 3 portions par personne à piocher dans le menu. Les trois premiers intitulés (choux de bruxelles frits, pickles d’échalotes, kimchi/tarama aux algues, crackers au sarrasin, citron confit/pain de Boulengier, beurre au miso Nuu) jouent les acidités douces et l’iode. C’est frais et savoureux. C’est une cuisine qui fonctionne bien avec la carte des boissons faite de jus fermentés (kéfir, kombucha…) ou infusés, de craft beers et de vins nature. Dans le déroulé du menu, viennent ensuite des petits steaks de céleri rave. Ils sont accompagnés d’une émulsion ail fumé, pickles de graines de moutarde qui viennent casser l’amertume d’un céleri extrêmement tendre et de mouron des oiseaux, une plante herbacée annuelle appartenant à la famille des Caryophyllacées, délicate mais robuste, qui rappelle la passion de la cheffe pour la cueillette. Le chou braisé, presque brûlé, accompagné d’un beurre noisette, kumquats, noix et thym, se révèle très intense. Comme les agnolotti servis dans un bouillon d’oignon que l’on pourrait trouver un rien autoritaire si la douceur et le côté végétal des poireaux et champignons qui composent la farce des petites pâtes ne venait pas délicieusement assouplir le tout.
Choux rouge braisé, siphon de pommes de terre, jus corsé au romarin, levure torréfiée © DR
Si tout est franchement réussi, le plus bluffant reste certainement les salsifis rôtis au beurre. Réaction de Maillard franche, presque caramélisée, ils sont d’une gourmandise quasi-coupable. D’autant plus que l’acidité des kumquat qui les accompagne vient dynamiter le gras du beurre. Et ce goût, si enrobant, qui dure en bouche, s’accompagne d’une odeur de noisette torréfiées qui provoque immédiatement un important réflexe salivaire : si on n’était pas accompagné, on s’en lècherait les babines !
Choux de Bruxelles frits, pickles d’échalotes, kimchi © DR
D’une manière générale, Aurélia d’Hollander vient, à chaque fois, très astucieusement, jouer sur les cuissons et les assaisonnement pour faire sortir ses ingrédients de la fenêtre gustative pour laquelle on les connaît. Loin des clichés sur la cuisine féminine, elle ose au contraire la puissance des saveurs, la concentration des goûts, l’intensité des arômes. Ses produits sont frits, rôtis, braisés, confits, laqués, brillants ou mats. Sous la dent ça fond et ça croque, ça pétille presque à certains moment. Et ce qui fait que tous ces extrêmes sont aussi agréables en au palais c’est que leur assaisonnement et les accompagnements parviennent toujours faire revenir l’ensemble dans une forme d’équilibre, pour mieux souligner le caractère du plat.
© Barth Decobecq
© Barth Decobecq
En dessert, la cheffe propose un sticky rice (crème de riz au koji, betteraves confites, cassis) assez extrême lui aussi qui ravira les amateurs du genre, et un éclair au foin (au praliné de graines de tournesol) qui s’inscrit mieux dans la philosophie générale de la carte qui oscille toujours entre gourmandise et ingéniosité.
Eclair au foin, praliné de graines de tournesol © DR
Si la rue des Bouchers et son écosystème de gargotes à touristes ne sont peut être pas l’environnement idéal pour la proposition culinaire de Frondes et de sa cheffe Aurélia d’Hollandaire, gageons qu’une fois la parenthèse Kokotte refermée, l’ancienne sous-cheffe du restaurant Ivresse trouvera un lieu où s’installer durablement et déployer toute l’étendue de sa vision de la cuisine végétarienne. En attendant, il n’est pas trop tard pour s’en convaincre en allant manger végé… rue des Bouchers.
Restaurant
Frondes
Adresses
Rue des Bouchers, 30
1000 Bruxelles
Réservations
frondes.reservations@gmail.com
+32 456 22 13 91
Sur internet
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