Martin Boonen
01 June 2023
Comme Ruffus l’année dernière, un autre vignoble belge fête ses 20 ans cette année : le Domaine du Chenoy. Que certains de nos vignobles atteignent désormais la double décennie prouve une fois de plus que la viticulture dans notre pays n’est pas qu’une tendance passagère, un effet de mode ou un engouement éphémère. Cependant, le phénomène s’accélère, et les effets, de plus en plus visible du réchauffement climatique (qui profitent, pour le moment, à la viticulture belge) ne cessent de donner des idées à des néo-vignerons dans toutes les régions du pays. Ce développement rapide s’accompagne d’une vraie professionnalisation de tout ce nouveau secteur : de la formation à la vente, en passant évidemment par la production et même l’apparition de l’œnotourisme. Avec leur expérience, des vignobles comme celui du Chenoy contribuent à tirer tout le monde vers le haut.
Jean-Bernard et Pierre-Marie Despatures ont considérablement développé le domaine depuis leur reprise il y a 5 ans © Pierre-Olivier Tulkens
Notre première visite au Domaine du Chenoy remonte à 2018, alors que Pierre-Marie et Jean-Bernard Despatures venaient seulement de reprendre la grande ferme namuroise que Philippe Grafé avait acquis pour y installer (alors) l’un des tout premiers nouveaux vignobles belges. Ancien administrateur délégué de la vénérable maison familiale Grafé-Lecocq, négociants et éleveurs de vins français établis au cœur de la vieille ville de Namur, Philippe Grafé fut l’un des premiers à croire en la possibilité d’une activité viticole professionnelle en Belgique. C’est peu dire que les choses ont changé.
La ferme qu'avait acheté Philippe Grafé avant les rénovations entreprises par les frères Despatures © Domaine Viticole du Chenoy
En 2018, il régnait encore une ambiance familiale et amateur sur les installations du domaine (alors qu’il était déjà l’un des plus vieux et les plus importants du pays). Aujourd’hui, si l’atmosphère familiale demeure, tout le reste s’est considérablement amélioré, développé, professionnalisé. Cependant, si les transformations sont spectaculaires, tout n’a pas changé, tient à préciser Pierre-Marie Despatures : “Nous avons conservé la philosophie de Philippe Grafé : une viticulture biologique (dont nous avons achevé la certification) et les cépages interspécifiques (dits aussi “résistants aux maladies”, ndlr).” Ces derniers sont véritablement la marque du domaine. « Ce sont des cépages que des pépiniéristes ont obtenu, au fil des années, par croisements, pas des OGM », explique Pierre-Marie Despatures, par ailleurs bio-ingénieur (comme son frère Jean-Bernard, ancien directeur technique des châteaux bordelais Anthonic et Dutruch Grand Poujeaux, à Moulis. “Ils sont intéressants car ils sont naturellement résistants aux maladies de la vigne (mildioux, oïdium…). Avec leurs peaux plus épaisses, ils sont protégés plus longtemps contre la pourriture et on peut laisser plus longtemps le raisin sur pied pour pousser leur maturité au maximum. Ils permettent donc de faire, même en Belgique, des vins biologiques et tranquilles, et pas seulement des effervescents. » Prudent et conscient du côté expérimental de son entreprise, ce ne sont pas moins de 10 cépages que Philippe Grafé à planté au Chenoy : Rondo, Pinotin, Régent, Cabertin et Muscat bleu (désormais utilisés pour l’eau de vie du domaine, le surprenant et superbe Helixir nous nous vous parlions ici) pour les rouges, et Solaris, Brönner, Johanniter, Hélios et Merzling pour les blancs.
© Domaine Viticole du Chenoy
À leur reprise, le premier objectif des deux frères est l’amélioration de la qualité du vin dont il sentait déjà tout le potentiel. Pour y arriver, ils investissent dans du nouveau matériel, plus moderne, plus performant, comme un nouveau pressoir pneumatique. Pour les assemblages, ils s’entourent d’un maître en la matière : Eric Boissenot (un des meilleurs œnologues du monde qui veille sur, excusez du peu, les châteaux Lafite Rothschild, Latour, Margaux, Mouton Rothschild, Léoville Las Cases, Léoville Barton, Ducru Beaucaillou, Grand-Puy-Lacoste et bien d’autres grands crus classés…). Ensemble ils repensent toute la gamme : une cuvée de bulles blanche (Perle de Wallonie), une cuvée en blanc (Citadelle) et une dernière en rouge (Terra Nova). Depuis se sont ajoutées une cuvée de bulles rosée (Perle de Wallonie), une cuvée rosée (Cupidon) et une cuvée gastronomique rouge (Grand Chenoy). Cette dernière devrait bientôt être rejointe par son équivalent en blanc (dont les contours, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ne sont pas encore définis).
© Domaine Viticole du Chenoy
En cinq ans, la qualité des vins à fait un impressionnant bon en avant. Il est dû évidemment au nouveau matériel, mais aussi à la connaissance et à la maîtrise du terroir qui se ressent au chai, puis dans la bouteille. “Comme nous travaillons en parcellaire, il a vraiment fallu vraiment que l’on apprenne à connaître finement notre territoire et nos parcelles. Cela demande du temps…” Tout de même, une telle progression, en seulement cinq ans, est à saluer.
“Quand nous avons constaté qu’il était en effet possible de franchir une étape sur la qualité des cuvées, il devenait intéressant de grandir en surface. Ensuite, puisque le volume augmentait, nous avons décidé de maîtriser toute la chaîne de production… et tout ça nous a mené là où nous sommes aujourd’hui.” C’est-à-dire à une rénovation complète de tout ce qui existait du temps de Philippe Grafé et la création d’une cave d’élevage dans une aîle de la ferme ainsi que d’un tout nouveau bâtiment contemporain destiné à l’embouteillage. Désormais, de la vigne à l’étiquette, le Domaine du Chenoy maîtrise toute sa chaîne de production. C’est assez remarquable pour être salué. Ça c’est pour le vin. Mais les visiteurs ne sont pas oubliés, puisque le domaine se dote désormais d’une vraie capacité d’accueil pour développer une activité œnotouristique avec un caveau de dégustation dans une cave voûtée d’époque, une grande salle de réception dans une grange et une magnifique terrasse plein sud ! Toutes ces nouvelles infrastructures sont décorées d’œuvres photographiques de Nicolas Meinguet qui a pu observer et capturer le domaine à toutes les saisons, à tous les moments de développement de la vigne et au chai pendant un an. Deux triptyques décoreront l’entrée des chais.
“Avec la fin de ces travaux, nous passons un cap ! Que ce soit pour le vin ou pour l’accueil, nous essayons de ne pas grandir trop vite. Il faut trouver le bon équilibre. Il serait risqué de trop s’étendre. Les risques encourus ne sont pas les mêmes sur 10 hectares que sur 35. Quant à la partie accueil, elle ne peut pas prendre le pas sur le temps que nous voulons passer à la vigne ou au chai.” assume Pierre-Marie.
Pour autant, le Domaine du Chenoy pourrait encore un peu s’élargir. “Encore faut-il trouver de la place. Nous avons une nouvelle parcelle dans le centre du village, du souvignier gris, plantée en 2020. Nous attendons de voir ce qu’elle donnera. Je crois beaucoup à la capacité de ses cépages à créer de nouvelles choses, de nouveaux vins, qui ne feront penser ni à la Bourgogne, ni à l’Alsace ou aux Côtes du Rhône, mais à bien à la Belgique.”
Le domaine va développer sa capacité à accueillir du public © Domaine Viticole du Chenoy
Le caveau de dégustation © Domaine Viticole du Chenoy
En attendant, le Domaine du Chenoy sera accessible (sur réservation) pour des visites et des dégustations tous les samedis. Le 4 juin une marche gourmande se terminera au domaine et le 30 juin, la tournée Show Must Go Wine débutera dans la cour extérieure avec le spectacle “Ni Dieux ni Maîtres mais du rouge” d’Eric Boschman suivi du concert de Romain Helvétius. En juillet, la terrasse et la grange fraîchement rénovée permettront aux convives de profiter d’un restaurant éphémère (Brut- Fine Organic Food), auquel succèdera, en août, un restaurant gastronomique au cœur des vignes (Toqué & Chez Vous) !
En fin d’année, le Domaine du Chenoy clôturera son double jubilé avec un bar à bulles
Photo de couverture : © Pierre-Olivier Tulkens
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