Bruno Colmant
09 September 2022
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
Les sorties de crise se font rarement sans douleur. La raison en est simple : outre l’appauvrissement lié à la chute des valeurs, les krachs déplacent latéralement les dettes entre agents économiques. C’est donc le remboursement de l’endettement, souvent excessif, qui constitue le dommage collatéral d’une crise financière. Et lorsque la dette est publique, c’est l’impôt qui sert au remboursement. Mais l’impôt doit rester tolérable. Il ne faut donc jamais exclure l’impossibilité pour les États d’exiger de leurs populations des efforts fiscaux excessifs. Au reste, les dettes publiques exorbitantes n’ont, au cours de l’histoire, été que rarement honorées. Dans des cas extrêmes, les États font même aveu de cessation de paiement ou distraient leurs populations dans des aventures belliqueuses.
L’inflation est aussi un moyen commode d’évaporer l’endettement public. La hausse des prix allège le remboursement des dettes par l’érosion monétaire. Le coût réel du remboursement et du paiement des intérêts en est donc soulagé. L’inflation transfère le patrimoine des épargnants vers les débiteurs.
L’histoire déborde d’exemples de phénomènes inflationnistes. Celle de la République de Weimar en est une des plus incroyables illustrations. Le 6 février 1919, trois mois après l’armistice ayant mis fin à la Première Guerre mondiale, une assemblée constituante allemande se réunit à Weimar. De nombreuses émeutes sévissent, en effet, à Berlin, rendant cette ville trop dangereuse. Les députés mettent en place de nouvelles institutions républicaines.
Mais le régime renvoie une image détestable, car il a accepté l’humiliation du Traité de Versailles de 1919. Déçu de n’avoir pu annexer la Ruhr, Clémenceau, le “père de la victoire”, comme l’avaient appelé les Français, avait décidé que l’Allemagne paierait. Pourtant, les exigences revanchardes des vainqueurs sont insoutenables. L’Allemagne est amputée de territoires de haute valeur économique, telle l’Alsace-Lorraine. Elle perd 10 à 15 % de ses productions agricoles, 75 % de son minerai de fer et 25 % de son acier et de son charbon. À ces pertes s’ajoutent les livraisons outrancières exigées par les vainqueurs : locomotives, camions, flotte de navires, charbon, etc.
Les enfants utilisaient la monnaie, devenue sans valeur, comme des briques Lego. © DR
Ces pertes aggravent le déficit de la balance commerciale. L’endettement de l’État provoque une inflation permanente. Rapidement, la hausse des prix se déchaîne. Au début de juin 1922, le dollar vaut 317 marks, mais plusieurs milliards en 1923. La monnaie allemande plonge de 613 000 marks par seconde et les prix doublent toutes les 49 heures. Les ménages brûlent les billets de banque, car la monnaie papier est moins onéreuse que le bois. C’est un drame humanitaire.
Finalement, le gouvernement parvient à arrêter cette inflation en 1923 en mettant en place une nouvelle unité monétaire, le Rentenmark, obtenue en divisant la valeur faciale de la monnaie par 1000 milliards. Un dollar vaut 4200 milliards d’anciens marks. Le pays retrouve les parités d’avant 1914. Mais 99 % des dettes de dépôts bancaires et des dettes de l’État sont annulées. La dette publique intérieure a été gommée !
Les dommages de guerre sont ensuite revus à la baisse lors de la conférence de Paris en juin 1929. Il y est décidé le rééchelonnement de la dette allemande jusqu’en… 1988. Cinq mois plus tard, Wall Street s’effondre. L’Allemagne traverse une crise économique qui se transforme en insurrection sociale. Des mouvements politiques réactionnaires appelleront Adolf Hitler à la chancellerie en 1933. Ce sera la fin de la République de Weimar.
2022 n’est pas 1923. Le G-20 ou Davos n’est pas l’assemblée constituante de Weimar. L’Europe réunie sous la coupole d’une devise unique n’a que peu de points communs avec la République allemande. Mais une question subsiste : l’élévation des dettes publiques sera-t- elle résolue par une flambée l’inflation ? Certains économistes en étaient convaincus. Nous y sommes.
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