Bruno Colmant
17 September 2024
Les bourses de valeurs sont aussi très anciennes. Leur origine reste partiellement apocryphe, mais il semblerait que le mot “bourse” trouve ses origines en Flandre. Au XIIe siècle, Bruges était une ville de banquiers. De nombreux établissements de crédit du Nord de l’Italie y avaient une succursale. Des titres de propriété s’échangeaient au coin de la rue Flamande et de la rue des Peilleteurs, désignée en 1302 sous le nom d’Oude Buerse, d’où le mot “bourse” est dérivé. Mais c’est au XIIe siècle qu’apparut de manière plus formelle la notion de responsabilité limitée pour les actionnaires. Il s’agit d’une innovation qui donna un essor sans égal à la révolution industrielle. Étant abstraite par nature, l’entreprise fut progressivement dotée d’une durée de vie juridique infinie. On décida qu’elle survivrait à ses actionnaires successifs qui, de leur côté, devaient la régénérer par des apports en capital ou des bénéfices mis en réserve.
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
La première société anonyme cotée et financée par souscription populaire fut la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (ou VOC, de Vereenigde Oostindische Compagnie). Fondée en 1602, deux ans après la Compagnie anglaise des Indes orientales, la société batave avait pour objectif social l’armement de navires destinés au commerce des épices (poivre, cannelle, girofle, muscade, etc.) avec l’Inde. L’entreprise était dangereuse et les naufrages nombreux, car les voyages pouvaient durer plusieurs mois. Il était donc indispensable de mutualiser des capitaux afin de répartir les risques de l’exploitation. De surcroît, la Hollande était en conflit avec le Portugal et l’Espagne, et le passage du cap de Bonne-Espérance exposait les marins à de terribles dangers.
La Compagnie néerlandaise des Indes orientales fut créée par appel public à l’épargne. Afin d’éviter des conflits entre provinces, le capital fut réparti entre six chambres régionales et soixante administrateurs (les bewindhebbers), choisis parmi les plus gros actionnaires, furent désignés. Ces derniers nommèrent un conseil d’administration de dix-sept membres, tous habillés de noir, formant le “Heeren zeventien”. La durée de vie de la société fut fixée à vingt-et-un ans. Les remboursements de capital n’étaient autorisés qu’après dix ans, au moment de l’établissement du premier bilan. Les dividendes n’étaient autorisés que si les bénéfices dépassaient 5% du capital. La responsabilité limitée des actionnaires fut établie : ils ne pouvaient perdre que leur mise initiale.
Malheureusement, faute de trouver une rentabilité suffisante dans le commerce des épices, les choses tournèrent vite au vinaigre. Très rapidement, il apparut que la société des Indes gagnait davantage en arraisonnant des navires ennemis qu’en commerçant. De plus, les hostilités entre les Pays-Bas et l’Espagne rendaient difficile la construction des forts censés assurer la protection des comptoirs commerciaux.
Rapidement, des administrateurs démissionnèrent et l’obligation de publier des comptes après dix ans fut levée. Le premier dividende eut un goût acidulé : il fut versé en épices. De plus, le gouvernement décida que l’entreprise ne serait pas liquidée comme prévu, au terme de vingt-et-une années d’existence. La seule manière de recouvrer la valeur des parts était de les vendre. Ceci suscita la création d’un marché boursier sur lequel une remarquable liquidité fut assurée. En fait, la création de la Compagnie des Indes et la nécessité de commercer ses actions ont indirectement donné naissance à la Bourse d’Amsterdam en 1602.
Employant jusqu’à 25 000 personnes, la Compagnie des Indes put alors prospérer et déployer ses opérations dans de nombreux territoires, jusqu’à exercer un quasi-monopole mondial. Amsterdam détrôna Anvers et Gênes comme centre commercial. Elle connut un essor qui accompagna le rayonnement géographique des Pays-Bas. Asphyxiée de dettes, la compagnie fut finalement dissoute en 1799, près de deux siècles après sa création, victime des guerres avec la France et l’Angleterre, des coûts exorbitants du maintien d’un empire colonial et de dissensions entre les actionnaires et les administrateurs.