Bruno Colmant
14 February 2023
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
Nous naviguons sur les fluences éphémères d’une expression politique façonnée par des réalités mal étudiées, comme si notre destination importait peu. Le ressenti instantané prévaut sur la construction intellectuelle. Nous ne prenons pas le recul du temps et nous escamotons les invariants. Ça, c’est l’État spectacle et cela doit cesser. Nous sommes tous frappés par une vision centripète, et non centrifuge, des problèmes sociétaux.
Nous avons tout anticipé : la dette écologique qui se soldera par des catastrophes et des migrations, la dette de la tempérance sociale qui se paiera plus tôt que tard par des troubles. Nous avons inversé le sens du temps et le futur nous présentera le prix de son emprunt. Mon intuition est que nos sociétés s’inscrivent dans une ambivalence schizophrénique. Elles accélèrent leurs emprunts au futur, tout en ressentant au fond d’elles-mêmes l’imminence de leur finitude. Victor Hugo (1802-1885) écrivait : “L’avenir, fantôme aux mains vides, qui promet tout et qui n’a rien”.
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À mon intuition, ceci est une dérive de ce capitalisme anglo-saxon qui, à la suite du tournant néolibéral des années 1980, promettait la jouissance individuelle immédiate, au détriment du bien-être collectif. Le matérialisme anglo-saxon a incidemment désagrégé les États qui se sont financiarisés et donc subordonnés aux marchés, mais également la sphère spirituelle qui s’est vue dans une logique utilitariste et narcissique.
Je ressens un sentiment d’inquiétude, mêlé d’une sourde prescience qu’un événement important, mais encore imprécis, doit s’abattre. Quel est cet événement de nature probablement militaire ou environnemental ? Je ne sais pas.
Quoiqu’il en soit, il faut reformuler un projet de société. Un projet d’enthousiasme. Un projet positif, hors du déni, de l’arrogance et de l’aveuglement. Un projet d’abord centré sur les jeunes et leur épanouissement. Un projet de meilleure justice sociétale. Il faut regarder plus haut et plus loin. Associer de nouveau les citoyens par de larges débats populaires aux choix générationnels de nos pays. C’est, je crois, impératif.