Moine, soldat, résistant, député, Henri Grouès a porté nombre de casquettes avant le béret au secours des plus démunis. Le biopic de Frédéric Tellier nous éclaire sur le combat perpétuel de l’abbé Pierre, n’hésitant pas à mettre en lumière les parts d’ombre de l’homme d’Eglise. Benjamin Lavernhe, sans doute le rôle de sa vie, suit les pas du père des pauvres depuis sa prime jeunesse jusqu’à sa mort. Eblouissant ! Présent pour la première au Festival de Cannes, Benjamin Lavernhe se confie à Eventail.be.
Eventail.be – Comment vous êtes-vous préparé psychologiquement à incarner l’abbé Pierre, véritable “rock star” ?
Benjamin Lavernhe – En effet, c’est très intimidant. L’abbé Pierre a une personnalité très complexe, très sensible, avec des doutes, un cerveau en ébullition permanente, une ambition immense dont on pense que c’est parfois de l’orgueil alors que c’est, au contraire, sa grande force d’avoir envie d’avoir un grand destin. S’approcher de l’abbé Pierre et essayer d’atteindre une vérité, c’est énormément de documentation, d’archives et aussi de témoignages de gens qui l’ont connu comme Laurent Desmard, le dernier secrétaire particulier de l’abbé Pierre. Il l’a connu pendant vingt ans et parlait de lui dans des termes très précis à propos de son caractère, de ses colères, de sa mauvaise foi, parfois, de tous ses petits défauts tellement attachants qui racontent aussi l’homme. Tout cela était très précieux. L’idée d’accepter de jouer ce rôle c’est un honneur et à la fois un saut dans le vide, un peu kamikaze. Je mesure 1,87 mètres, je ne suis pas vieux alors qu’il l’est. On oublie qu’il a eu une jeunesse et puis il est tellement sur un piédestal qu’il faut désacraliser. Il ne faut pas enlever de l’admiration parce que l’admiration peut être un moteur énorme. Et il est tellement enthousiasmant, inspirant, bouleversant que cela donne des ailes, un courage et une force inouïs. Je pensais que ce tournage allait me fatiguer et, en fait, on est tellement fier de dire ses mots et de faire claquer ses grands discours. Grand tribun, il faisait vibrer les cœurs des gens. C’est pour cela qu’il est devenu une rock star parce qu’il avait un charme inouï et que s’il n’avait pas eu cette personnalité aussi séduisante, il n’aurait pas pu autant convaincre les gens.
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– La préparation physique devait être importante, aussi
– L’autre partie du travail, c’est de lui ressembler. Comment essayer quand même, puisque c’est une icône, d’être crédible dans le rôle et dans la vieillesse. C’était très amusant et intimidant parce que j’avais neuf stades de vieillissement avec, chaque fois, des tailles d’oreilles et des coupes de cheveux différentes, une bosse sur le dos… Je me suis embarqué dans le fait de me plier sur les genoux, sous la soutane. Il était plus petit que tout le monde. Cela change tout, dans le rapport à la parole. Il fend la foule, il tempête par le bas. Il n’est pas dominant et cela change tout. J’avais ce souci d’avoir le même rapport à l’autre que lui avait. Cela a été un travail génial avec l’atelier 69 à Montreuil qui a réalisé les effets spéciaux, les vieillissements. Cela aidé énormément à être dans l’émotion. Le travail du maquillage était merveilleux, pendant six heures, dès 3 heures du matin. À 9 heures, j’étais l’abbé Pierre vieux jusqu’à 19 heures. La tenue, la silhouette, le béret, la cape, la canne, tout aide à trouver le personnage et son attitude et il y avait un grand plaisir à trouver un mimétisme.
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– Comment avez-vous joué la scène de l’Hiver 54 ?
– C’est une scène emblématique dont on a peu de trace. RTL a republié le vrai enregistrement et il y avait une grande sobriété comme s’il ne se rendait pas du tout compte de l’écho que cela allait avoir. Il ne pouvait pas deviner que les gens allaient vider leur portefeuille, amener des couvertures. Il y a une insurrection de la bonté. On a opté pour quelque chose d’assez digne, de très concentré. Il essayait de convaincre sans culpabiliser, sans marteler alors que, dans d’autres discours, il était plus virulent. Le réalisateur Frédéric Tellier a gardé quelque chose de très concentré et assez sobre. Quand on réalise un film, on a cette liberté qui fait qu’on n’est pas en documentaire.
– Il n’avait pas beaucoup tendresse envers lui-même. Il doutait souvent…
– Cela paraît paradoxal mais il avait une exigence vis -à-vis de lui-même complètement démesurée et, jusqu’à 94 ans, il disait « je n’ai pas fait pas assez, il faut tellement faire plus. » Cette énergie vient de son empathie, de son hypersensibilité. Il était à vif. Il trouvait insupportable que l’autre souffre et qu’on le laisse dans sa souffrance alors qu’il y a tellement de solidarité possible. L’argent, les gouvernements l’ont, il suffit de tendre la main. Pour lui, aider l’autre c’est ce qui va vous rendre heureux et va donner du sens à votre vie. On peut guérir en se tournant vers l’autre, on se fait du bien à soi-même. C’est la clé. Mais il était victime de sa sensibilité et d’une dureté avec lui-même. Animé d’une grande ambition, il se rêvait adolescent avec un grand destin à la Napoléon, à la Saint François d’Assise. En même temps, il avait honte de se rêver en leader et à la tête d’une foule en marche. Heureusement qu’il avait des ambitions pareilles. C’est son destin mais ça n’a pas été simple.
Photo de couverture : © Jérome Prebois
Film
L’Abbé Pierre – Une vie de combats
Réalisation
Frédéric Tellier
Distribution
Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot et Michel Vuillermoz
Sortie
En salles
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