Corinne Le Brun
31 October 2018
Antoine (Pio Marmaï) sort de prison pour un vol qu'il n'a pas commis. L'erreur est judiciaire certes mais surtout humaine: il est incarcéré - pendant huit ans ! - pour couvrir le capitaine Santi (Vincent Elbaz), un flic ripou, mort entre-temps au combat. Sa veuve, Yvonne (Adèle Haenel), elle-même inspectrice de police, va découvrir que son héros de mari n'était pas celui qu'elle croyait. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d'Antoine qui n'en mène pas large au sortir de prison.
La rencontre, inattendue et folle, va dynamiter leur vie à tous les deux. Pio Marmaï et Adèle Haenel sont au sommet de leur art dans cette comédie jubilatoire (Prix SACD à la Quinzaine des réalisateurs 2018, Mention Spéciale du Jury FIFF 2018). Adèle Haenel ne cesse de se renouveler : elle fait preuve d'une liberté folle dans En liberté !. Rencontre au festival international du film francophone, à Namur.
Eventail.be - Comment s'est faite la rencontre avec Pierre Salvadori ?
Adèle Haenel - Je n'avais jamais tourné avec Pierre mais je savais qu'il avait pensé à moi. J'avais entendu parler du projet par une amie qui m'avait conseillée de travailler avec lui. J'avais vu Les apprentis, Comme elle respire, Dans la cour (avec Pio Marmaï, dans un second rôle) que j'aimais beaucoup. Je savais aussi que Pio (Marmaï) était déjà dans le projet, avec qui j'avais déjà tourné (Alyah d'Elie Wajeman, 2012). Et je me suis lancée. Pour le casting, nous avons fait une seule scène pour voir comment on allait travailler ensemble.
- Ce qui vous plaît dans le personnage d'Yvonne ?
- C'était surtout l'occasion assez chouette de pouvoir faire un film riche de plein de choses : de l'action, des courses poursuites, des dialogues. La dimension comique est super intéressante, cela permettait d'explorer des tas de choses dans le jeu.
© Claire Nicol |
- Comment entrer dans la peau d'une inspectrice de police en colère ?
- C'est le film qui est intéressant plutôt que le personnage. Ce n'était pas évident parce qu'il fallait trouver le ton et comprendre ce que Pierre disait. Cela a mis une dizaine de jours et puis cela a été beaucoup plus amusant à faire. Il nous fallait toujours inventer des choses nouvelles dans les scènes. On n'est pas passif quand on acteur. On apporte toujours quelque chose dans un film. Cela circulait bien entre Pio, Pierre et moi. C'était jubilatoire à faire alors que le sujet a tous les ingrédients d'un drame. Yvonne est en proie avec la culpabilité. Du coup elle essaie de s'en sortir.
© Claire Nicol |
- Yvonne peut-elle sauver Antoine ?
- De quoi ? Non, ils vivent quelque chose ensemble tous les deux qui leur permet de pas juste subir ce qu'ils vivent. Lui, l'injustice, elle sa culpabilité. C'est leur rencontre qui les sauve, tous les deux.
- Yvonne raconte tout à son jeune fils...
- Le père est toujours un héros. Elle le malmène un peu. Pour Pierre Salvadori, il s'agissait de dire la vérité à son enfant. C'est l'enjeu du film. C'est ce qu'Yvonne fait: elle dit la vérité du père à son fils mais en l'adoucissant. Le fils fait un projet quand même avec ça. Son père est un héros, mais pas tout à fait. Mais c'est quand même son père.
© Ted Paczula |
- On ne vous a pas souvent vue dans les comédies
- On me le dit souvent. J'avais fait d'autres films qui s'apparentaient à des comédies mais qui officiellement ne l'étaient pas. C'est agréable. Le jeu est plus technique. L'improvisation n'est pas toujours la clé d'une bonne comédie, au contraire. L'idée c'est de jouer avec les textes et les sous-textes. Il ne s'agit pas d'étendre ce qui est dit et de briller par un punch-line mais plutôt de changer le rapport à un texte qui est dit. C'est ce que demande Pierre en tout cas. Et cela demande beaucoup de technique. Comme une descente à ski, j'ai appris au fur et à mesure. Ceci dit, enfant, j'étais fan des comédies avec Jean-Paul Belmondo. Il est tellement drôle, avec panache.
© Claire Nicol |
- La prison est terrifiante, quand on est innocent...
- Elle a été inventée selon une justice de classe. C'est les pauvres qu'on envoie en prison dans l'immense majorité des cas. À peine égale, les classes supérieures s'en sortent. C'est un outil de contrôle social de la population, qui symbolise la grande injustice. Jamais de la vie on va dire « Cahuzac va aller en prison ». Il est condamné pour des crimes qui sont tellement hauts qu'on ne se dit même pas il va aller en prison. Le crime financier bénéficie d'une forme d'impunité. C'est un endroit où on essaie de rééduquer les gens à qui on apprend à marcher au pas. Avec une hypothétique insertion... La prison n'est pas un élément isolé. Michel Foucault parle d'illégalisme (ndlr: Surveiller et punir, Ed. Gallimard, 1993).
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