Corinne Le Brun
11 September 2019
Terrasse sur la plage à Cannes. Lunettes noires, sweat blanc sous un deux-pièces anthracite foncé, pieds nus dans des mocassins rose clair. Song-Kang Ho, superstar en Corée du Sud, respire l'élégance discrète. Quelques heures auparavant, nous l'avions vu dans les vêtements poisseux de Ki-taiec, vivotant avec sa femme et ses deux grands enfants dans un sous-sol quasi insalubre. Parasite de Bong Joon-ho raconte l'histoire de ce foyer pauvre qui va se faire embaucher dans la maison d'une famille riche. On ne vous raconte pas la suite. Le film est haletant, populaire, cynique, drôle et violent.
[caption id="attachment_22549" align="alignnone" width=""]Le comédien Song Kang-Ho à Cannes[/caption] |
© Pacificcoastnews/Photo News |
La finesse des dialogues, l'ingéniosité des plans secouent la rétine à chaque instant. Une sorte de Tarantino à la sauce sud-coréenne. Parasite ne cède jamais à la facilité. Et surtout le cinéaste Bong Joon-ho réussit à jouer sur tous les registres dans un seul film, éclectisme qui lui vient en partie « de son amour du cinéma français ». Le réalisateur et son acteur fétiche collaborent depuis plus de dix-sept ans. Parasite est leur quatrième film fait ensemble. L'acteur est presque devenu coauteur du réalisateur. Prodigieux dans le film Palme d'or à Cannes, le comédien incarne le nouveau cinéma sud-coréen qui déferle sur le monde.
Eventai.be - De quelle manière vous êtes-vous identifié au personnage de père de famille pauvre ?
Song Kang-Ho - Ki-taiec est sans argent ou presque. Rien ne va pour lui et sa famille. Il doit pourtant subvenir aux besoins des siens. Il est face à une réalité extrêmement frustrante. Ses choix sont très limités. Malgré tout, il essaie de surmonter cet environnement hostile. Et pour des personnes comme lui, il existe des actions à mener. Il y a des issues possibles. Ki-taiec n'a d'autre choix que de s'adapter à ses limites. Il est comme un serpent, un être extrêmement souple qui se faufile et s'adapte. Puis, il se retrouve impliqué dans des situations totalement inattendues. Le film montre combien l'individu est contrôlé par l'environnement. L'unique option est de se changer soi-même. Je m'identifie à ce personnage à plusieurs titres. Mais évidemment, à la fin du film, je n'ai pas jamais expérimenté ce qu'il vit. Mais mentalement et émotionnellement, je peux aisément comprendre les actes de Ki-taiec. Disons que mon identification est mixte, dans ce cas-ci. La vie est à la fois une comédie et une tragédie. C'est ce binôme que j'essaie d'exprimer. Je ne cherche pas être dramatique, comique ou drôle.
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- C'est votre quatrième film avec Bong Joon-ho. Comment fonctionne votre collaboration ?
- Je respecte beaucoup le réalisateur. Bong Joon-ho ne cesse de questionner le monde et d'aller plus loin dans ses intentions. Quand nous travaillons ensemble, je sens que notre collaboration est idéale. Nous nous stimulons sans arrêt. C'est pourquoi nous nous retrouvons encore dans ce film. J'ai reçu pas mal de propositions américaines mais, pour plusieurs raisons, elles ne se sont pas concrétisées. Pour l'heure, je n'ai pas de projets particuliers. Je ne cherche pas à être encore plus célèbre ou à me vendre à l'international. La production de Snowpiercer, Le Transperceneige était internationale. L'équipe sud-coréenne du film s'est retrouvée face aux contraintes légales et strictes sur les heures de travail - pas plus de 12 heures par personne - alors que nous sommes habitués à faire de très nombreuses heures supplémentaires lorsqu'on tourne dans notre pays. Maintenant, les productions us et sud-coréennes sont très similaires. Et je suis un peu triste de ne plus avoir cette flexibilité.
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- Le film est particulièrement offensif sur la famille. Quelle place occupe-t-elle dans la société sud-coréenne ?
- Partout dans le monde, la famille constitue l'unité de base pour un individu. C'est le cas plus particulièrement en Corée du Sud car dans mon pays beaucoup de changements sont intervenus dans la cellule familiale. Les familles traditionnelles se sont largement occidentalisées. Le thème du film n'est pas seulement centré sur la famille mais plutôt sur la façon dont l'économie et le non emploi peuvent détruire une personne et atteindre sa dignité. La division sociale et le chômage ont impact sur tout un chacun.
- Cet écart entre les classes sociales, comment le vit-on au quotidien ?
- Cette différence sociale est quelque chose qu'on ne voit pas. Mais, dans le film, elle se concrétise par l'odeur, effectivement invisible. C'est quelque chose que l'on peut vivre vraiment et que l'on a tendance à ne pas exprimer en mots. C'est pourtant elle qui sépare véritablement ceux qui sont riches de ceux qui ne le sont pas. Dans le même temps, parce qu'elle est invisible, cette odeur se révèle extrêmement puissante et quasi irréversible. Là aussi, il s'agit d'un ressenti intime et d'une guerre universelle.
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- Vous avez incarné des personnages très différents avec succès. Quelle est votre méthode ?
- Merci beaucoup. Ce qui importe pour moi dans l'interprétation d'un personnage c'est de comprendre le message et l'histoire que le réalisateur veut raconter. Et la manière dont je vais pouvoir exprimer ses points de vue. Une fois que j'ai compris cela, je vais naturellement m'adapter au personnage. Je ne pense pas qu'un acteur doit réfléchir à ce qu'il a déjà fait auparavant. Quand un réalisateur sait exactement ce qu'il veut, j'essaie de jouer un personnage particulier, de façon unique. Aucun rôle ne ressemble à un autre, ni à la façon de l'interpréter.
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