Jean-Claude Seynave
19 December 2022
Elle est consacrée au 175e anniversaire de la création d’un endroit emblématique de la capitale belge : les Galeries Saint-Hubert (qui ne deviendront Royales qu’en 1969). C’est en effet le 20 juin 1847 que fut inauguré par le roi Léopold Ier ce chef d’œuvre d’architecture urbaine dû au génie de Jean-Pierre Cluysenaar (1811–1870), architecte belge, né en Hollande, originaire d’une famille autrichienne. Ce chantier, pourtant d’une ampleur colossale, fut bouclé en un temps record de 14 mois. L’exposition décrit les origines, l’évolution et la vie de cet extraordinaire microcosme bruxellois. Elle évoque bien entendu les personnages illustres qui ont déambulé sous cette immense verrière : Victor Hugo (et sa maîtresse Juliette Drouet), Alexandre Dumas, Félicien Rops, Baudelaire, Paul Verlaine (qui y acheta dans une armurerie aujourd’hui disparue le revolver avec lequel il tira sur Rimbaud), sans compter d’innombrables stars françaises et internationales. Mentions spéciales pour les Belges Hergé, Jacques Brel et Annie Cordy, ainsi que pour un autre habitué des Galeries, Maurice Béjart qui vécut près de 30 ans à Bruxelles et y créa Le Sacre du Printemps et Les Ballets du XXème siècle. On ne peut parler de la vie culturelle des Galeries Saint-Hubert sans rappeler que les deux pièces les plus notoires du théâtre belge y furent créées : Le Mariage de Mademoiselle Beulemans et Bossemans et Coppenolle.
Le Théâtre du Vaudeville @ Arnaud Everaerts
La gastronomie n’est pas en reste avec la naissance de la praline par Jean Neuhaus dans les Galeries de la Reine en 1912, presque simultanément à celle de leur emballage, le “ballotin”, imaginé par son épouse. On y trouve aussi le plus ancien commerce (1874) toujours actif, la maison Monsel qui vend des parapluies, cannes et divers couvre-chefs recherchés par les têtes les plus éminentes. En face, et appartenant à la même famille, se situe aussi un magasin presque aussi ancien (1890) : la Ganterie Italienne. Citons encore une autre entreprise familiale bicentenaire (1884) encore en activité : la Manufacture Belge de Dentelles. Enfin, parmi les grandes enseignes disparues, La Voix de son Maître, magasin de disques, gramophones et phonographes dont une partie du succès était peut-être due à son célèbre logo canin.
© Arnaud Everaerts
© Arnaud Everaerts
Peut-être plus intéressant encore que l’exposition, car forcément beaucoup plus détaillé et regorgeant d’histoires peu connues du grand public est le magnifique volume illustré que Paul Grosjean vient de consacrer à ce passage urbain parmi les plus beaux du monde : Galeries Royales (Saint-Hubert) Stars des Galeries, Galeries des stars… publié chez Édition Ventures. L’auteur est particulièrement bien informé car, en plus d’être un journaliste et chroniqueur reconnu, il appartient à la famille qui préside aux destinées des Galeries Saint-Hubert depuis plusieurs générations.
Outre constituer une véritable chronique des Galeries, l’ouvrage accorde une attention particulière aux établissements qui y ont entraîné le plus grand nombre de visiteurs et le plus contribué à leur histoire et à leur popularité : deux théâtres (le Théâtre Royal des Galeries, et le Théâtre du Vaudeville) et deux restaurants (la Taverne du Passage toujours en activité et la Taverne Royale aujourd’hui disparue). Ces deux monuments de la gastronomie bruxelloise ont leur(s) histoire(s). Par exemple, c’est à la Taverne Royale que dans les années 1920 Joseph Niels inventa le « filet américain ». Quant à la Taverne du Passage (maintenue dans son superbe style Art Déco), elle doit une part non négligeable de sa renommée à la personnalité de Léon Demol (1920-1987) qui la dirigea pendant des décennies.
Le style grande brasserie bruxelloise retrouvé à la Taverne du Passage © DR
Il faut dire que c’était un personnage hors du commun. Grand œnophile (il était premier sommelier de Belgique), la cave de son restaurant était reconnue pour la qualité et les prix abordables de ses vins. Léon (surnommé Podum) était aussi un excellent trompettiste de jazz. Il se produisait notamment au Blue Note, un club situé dans la Galerie des Princes fréquenté par tous les musiciens de jazz de passage à Bruxelles. C’est là que débuta Philip Catherine, sans conteste le plus grand guitariste de jazz belge. À cet emplacement, s’est établi depuis 1984 Tropismes, la plus belle librairie de Belgique. Concernant Léon Demol, une anecdote incongrue (qu’on ne trouvera pas dans le livre de Paul Grosjean) est la suivante : Podum, naturiste convaincu, passait ses vacances sur l’île du Levant. Le 21 juillet, il fallait l’entendre (et le voir) jouer La Brabançonne à la trompette dans les ruelles pentues de l’île, vêtu seulement d’une paire d’espadrilles…
La galeries des Prince où se situait le célèbre club de jazz Blue Note © Arnaud Everaerts
Dans l’ouvrage parfaitement documenté de Paul Grosjean, on dénote cependant une étonnante omission. Alors que de nombreux chapitres sont consacrés aux acteurs, le nom de Darman y est seulement mentionné (par la bouche du très regretté Marc Danval qui a collaboré à l’élaboration du livre). Or, Darman (seul comédien belge promu chevalier de la Légion d’Honneur) fut la vedette de loin la plus populaire des scènes belges, plus particulièrement de celle du Vaudeville dont il fut le directeur artistique pendant plus de 20 ans (et qu’il quitta en 1947 pour faire bâtir et diriger le Théâtre de la Bourse). Sur la durée, il fut probablement la personnalité individuelle qui amena le plus grand nombre de gens dans la Galerie de la Reine. En termes d’affection du public envers certains artistes, Darman ne fut concurrencé que vingt ans plus tard par le trio combien talentueux du Théâtre des Galeries : Christiane Lenain, Serge Michel et Jean-Pierre Loriot.
L’exposition est à accessible tous les jours gratuitement de 14 à 20 h jusqu’au 30 juin 2023.
Sur internet
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