Une artiste engagée, version baroque flamboyant

Réputée pour ses sculptures monumentales et ses installations immersives captivantes, Joana Vasconcelos est une artiste multidisciplinaire d’origine portugaise, née à Paris en 1971. À Bruxelles, elle est représentée par la Galerie La Patinoire Royale | Bach. L’artiste se distingue par une inventivité flamboyante, une palette chromatique éclatante et une légèreté ludique. Toutefois, derrière les apparences irrésistiblement joueuses se cache une réflexion aiguë sur les rouages de notre société et sur les mécanismes de consommation. Son modus operandi ? Détourner des objets du quotidien – casseroles, tampons hygiéniques, travaux au crochet… – qu’elle accumule pour les transformer en œuvres aux multiples significations. Le résultat ? Une pratique critique qui interroge avec humour et ironie le consumérisme, mais aussi les rôles assignés aux femmes, ainsi que l’identité collective.

Joana Vasconcelos sonde également les racines de la culture populaire portugaise qu’elle réinvente en convoquant des éléments emblématiques tels que le fado ou les bijoux traditionnels. Un travail à la croisée de l’intime et du collectif, qui investit autant l’univers symbolique que les récits historiques façonnant son héritage culturel. Une artiste assurément emblématique !

En 2012, Joana Vasconcelos marquait l’histoire en devenant la première femme et la plus jeune artiste à exposer au château de Versailles, attirant un public record de 1,6 million de visiteurs ! En ce mois de janvier, elle est l’invitée d’honneur de la BRAFA. Avec déjà une certitude : cette 70^e édition promet d’être magique, festive et délicieusement exubérante.

L’Éventail – Vous êtes la première femme invitée d’honneur après une succession d’hommes lors des éditions précédentes (Julio Le Parc, Christo, Gilbert & George et Arne Quinze). Que représente cette invitation et quel message souhaiteriez-vous transmettre ?
Joana Vasconcelos – C’est tout d’abord un grand privilège d’être l’invitée d’honneur de cette édition de la BRAFA qui célèbre, cette année, son 70^e anniversaire. C’est une étape déterminante qui souligne le rôle historique de la foire, mais également son impact de longue durée sur le monde de l’art. La BRAFA est une foire prestigieuse où le passé, le présent et le futur de l’art se rencontrent. J’ai également ce privilège d’être la première femme mise à l’honneur… Tout au long de ma carrière, je me suis souvent retrouvée à être la première femme à atteindre certaines étapes, comme à Bilbao ou à Versailles. Plutôt que de me réjouir de ces accomplissements personnels, je m’interroge continuellement sur les raisons pour lesquelles tant de femmes talentueuses n’ont pas rencontré les mêmes opportunités. Mais le constat est sans appel : dans un monde de l’art encore largement dominé par les hommes, la lutte féministe reste nécessaire. Et je conseille à toutes les femmes artistes de prendre leur place ! Cette place est essentielle pour faire avancer le dialogue en cours et provoquer les changements nécessaires en faveur du féminisme et de l’égalité dans le monde de l’art.

– Au-delà du message, quelle sera votre contribution à la BRAFA 2025 ?
– Je présenterai deux Valkyries monumentales et visuellement saisissantes. Soit des sculptures issues d’une série inspirée des figures féminines puissantes de la mythologie nordique, qui survolaient les champs de bataille pour ressusciter les guerriers les plus braves et les emmener au Valhalla. Ces œuvres incarnent l’esprit de force et de résilience. Des qualités qui résonnent intensément avec notre époque. Réalisées à partir d’une variété de textiles, ces Valkyries présentent un mélange surprenant de volumes, de textures et de couleurs, combinant l’artisanat traditionnel et les techniques contemporaines. Je vois ces œuvres comme des expressions – esthétiques et conceptuelles – rendant hommage à l’héritage de la BRAFA, tout en créant une expérience immersive faisant le pont entre tradition et innovation.

– La BRAFA réunit le meilleur des arts anciens et contemporains. Comment percevez-vous ce dialogue entre époques, styles et cultures ?
– En tant qu’artiste, je trouve que c’est très inspirant d’observer les interactions entre différentes périodes et styles artistiques. Cela reflète non seulement la nature en constante évolution de l’art, mais aussi sa capacité à connecter les gens à travers le temps et l’espace. J’ai une profonde admiration pour l’art ancien et les maîtres du passé. Leur savoir-faire, leur attention aux détails et leur usage des matériaux m’ont toujours inspirée. Je trouve fascinant que ces artistes aient pu créer des œuvres qui transcendaient leur époque, et que leur héritage continue de façonner le monde de l’art aujourd’hui. Le dialogue entre tradition et modernité est un élément que j’explore constamment dans ma propre démarche, en associant des éléments du passé avec des pratiques contemporaines pour créer quelque chose de nouveau.

– Avez-vous l’âme d’une collectionneuse ? Si oui, quels sont les objets que vous recherchez ou qui vous inspirent ?
– J’ai en effet une passion pour la collection d’objets… Mais je ne collectionne pas des œuvres de grande valeur ou des antiquités rares. Ma collection est beaucoup plus personnelle, liée aux souvenirs, aux émotions et aux histoires intimes que les objets peuvent raconter. J’ai, par exemple, une étagère remplie de petits objets en céramique qui proviennent des boutiques de musées que je visite à travers le monde… Leur valeur tient dans le souvenir qu’ils véhiculent parce qu’ils sont directement liés à des expériences vécues sur place. Ma collection comprend également des artefacts personnels divers qui m’apparaissent profondément significatifs. […] Je considère ma collection comme un moyen de connecter le personnel à l’universel. Elle me rappelle d’où je viens et les personnes qui m’ont influencée, et elle nourrit mon imagination artistique de manière inattendue.

– Selon vous, quelle serait l’œuvre d’art ultime ?
– À mon avis, l’œuvre d’art ultime serait la vie elle-même, avant tout. Bien sûr, je pourrais citer quelques artistes et œuvres que j’admire, comme Le Bernin, Velázquez, Annette Messager ou Niki de Saint Phalle… Mais à mes yeux, l’œuvre d’art ultime n’est pas un objet spécifique ou un moment dans le temps. C’est le processus continu de vivre et de créer, mais aussi la capacité de pouvoir mêler harmonieusement histoire personnelle, patrimoine culturel et expression artistique.

Photo de couverture : Joana Vasconcelos 2023 – Exposition « Extravagances » au MON – Musée Oscar Niemeyer à Curitiba – Brésil • Artiste: Joana Vasconcelos • Photographie : © Lionel Balteiro | LaMousse