JC Darman
19 March 2025
Monsieur Orgon souhaite que sa fille Silvia épouse Dorante, un jeune homme riche et de bonne famille qu’elle n’a jamais rencontré. Orgon en père aimant ne veut pas contraindre sa fille. Il la laisse libre de son choix. Silvia rêve d’un mariage d’amour. Pour mieux connaître ce prétendant inconnu, elle va revêtir les habits et prendre la place de sa servante Lisette. Dorante, de son côté usant du même stratagème et dans un but identique, va prétendre être son propre valet. Pour parachever le chassé-croisé, Arlequin (le laquais de Dorante) et Lisette joueront le rôle de leur maître respectif. Le tout sous l’œil amusé et complice d’Orgon et de son fils Mario. Silvia et Dorante, ces deux jeunes gens de la bonne société travestis en domestiques vont immédiatement éprouver une attirance l’un pour l’autre telle qu’ils seraient prêts à surmonter les préjugés sociaux et enfreindre les conventions mondaines en nouant ce qui constituerait une impensable mésalliance.
© Aude Vanlathem
Une décision d’autant plus difficile à prendre lorsque Dorante va révéler sa véritable identité à Silvia qui de son côté ne va rien lui dévoiler. Elle veut obtenir une preuve d’amour total : se faire épouser pour elle-même, toute soubrette qu’elle serait. Quant au couple formé par Lisette et Arlequin, il va lui aussi être emporté dans un tourbillon amoureux. Le final constituera le moment de vérité pour les deux couples, la fin d’un jeu qui voit le triomphe de l’amour. Après tant d’adaptations très réussies d’œuvres populaires à grande mise en scène, on était curieux d’observer le retour de Thierry Debroux, le directeur du Parc, à un théâtre classique.
© Aude Vanlathem
Classique, c’est du moins ce qu’on pouvait penser avant d’avoir assisté à la représentation. Car ici le classicisme ne se retrouve plus que dans la langue superbe. La metteuse en scène, Daphné D’Heur, a créé un spectacle totalement original et d’une folle inventivité. Marivaux est le créateur de ce qu’on a appelé la comédie de sentiments. Daphné D’Heur a remarquablement tiré parti du registre comique propre au genre, mais de la manière la plus inattendue et la plus comiquement outrancière. On n’est pas loin du burlesque. Par exemple, les acteurs s’adressent directement au public pour le prendre à témoin. Des apartés se font le corps perpendiculaire à la salle avec le visage tourné vers elle. La gestuelle des acteurs est dansante, voire acrobatique, avec un accompagnement musical déconcertant (des chansons des années 70-80 en playback).
© Aude Vanlathem
On peut même assister à une ébauche de déshabillage de Lisette et Arlequin qui intervertiront leurs vêtements dans un rhabillage hâtif. La représentation est drôle, virevoltante, fine et légère. Mais Marivaux est aussi un moralisateur. La pièce date de 1730, c’est dire que nous sommes entrés dans le siècle des lumières où se développe la critique de la société dont il est un observateur lucide. Sa pièce peut parfaitement illustrer les premiers pas sur le long chemin de l’émancipation féminine. La scénographie imaginée par Thibaut De Coster et Charly Kleinermann fait évoluer les comédiens dans un surprenant labyrinthe végétal. Les costumes dessinés par Chandra Vellut évoquent ceux des comédies américaines des années 50. Silvia, le personnage principal, est incarné avec une fraiche autorité par Phèdre Cousinie Éscriva. L’interprétation de Quentin Minon confère aux affres de Dorante un accent de masculinité très moderne. M. Orgon (Emmanuel Dell’Erba) est un père sympathique tout en rondeur, en connivence avec son fils Mario (Benjamin Van Belleghem). Antoine Minne est un sautillant Arlequin, digne représentant d’une commedia dell’arte (à tendance Belmondo dans ses comédies les plus délirantes). Enfin, Laurie Degand incarne avec beaucoup de talent et de drôlerie une Lisette sagace et enjouée.
Un excellent spectacle à voir au Théâtre Royal du Parc jusqu’au 12 avril.
Pièce
Le jeu de l’amour et du hasard
Adresse
Théâtre Royal du Parc
Rue de la Loi 3,
1000 Bruxelles
Dates
Jusqu’au 12 avril
Billeterie
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