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Les arts partagés : la Famille d'Orléans

Berko Fine PaintingsExpositionKnokkeMaison d’Orléans

Rédaction

24 May 2022

En couverture : Une œuvre de la princesse Diane d'Orléans. © DR

L’empereur romain Aurélien (270-275) a sauvé l’empire de sa décomposition en quelques années de combat. C’est lui qui instaura le culte du Soleil, le “Sol invictus”, illustrant ainsi la montée progressive du monothéisme dans le monde antique. Sur les ruines de l’ancienne Cenabum, il créa une ville à son nom : Civitas aurelianorum, qui, avec le temps, devint Orléans.

Par un de ces mystères de l’âme humaine, la branche des Bourbons de France qui fonda la troisième maison d’Orléans semble avoir été touchée par les rayons du Sol invictus. Elle représente un cas étonnant de dons artistiques, répétés de génération en génération. Certes, la maison royale de France (depuis Louis-Philippe) a connu un nombre impressionnant de mariages consanguins, ce qui pourrait expliquer cette transmission, mais un tel phénomène ne paraît pas s’être produit ailleurs. On dirait qu’une sorte de conscience collective, semblable à ce phénomène qui donne à la ruche une plus grande intelligence que la somme de celles des abeilles, anime, au-delà du temps et de l’espace, des personnes qui ont conscience d’être membre d’une “maison”, a fortiori d’une maison souveraine.

Le portrait de Louis-Philippe par Winterhalter. © DR

Le portrait de Louis-Philippe par Winterhalter. © DR

Lorsqu’il épousa en 1809 Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, Louis-Philippe, duc d’Orléans avait déjà connu une vraie vie d’aventures. Sans perspectives ni revenus, le jeune homme avait même été professeur au collège de Reichenau. Cette existence totalement inédite dans le parcours d’un fils de France ne l’empêchait pas d’avoir une haute idée de ses origines ni de mettre en exergue sa ressemblance physique avec Louis XIV. Aussi, lorsqu’il eut recouvré sa fortune à la Restauration, il voulut donner à ses huit enfants survivants une éducation parfaite. La vie désordonnée de son père ainsi que l’enseignement de Madame de Genlis lui inspiraient une haute idée de ce que devaient être un prince ou une princesse. Ary Scheffer puis, plus tard, Eugène Lami comptèrent parmi les peintres qui transformèrent de l’intérieur la famille d’Orléans.

'La liberté guidant le peuple' est un tableau peint en 1830 par Eugène Delacroix, le chef de file du romantisme. © DR

'La liberté guidant le peuple' est un tableau peint en 1830 par Eugène Delacroix, le chef de file du romantisme. © DR

Avec le Romantisme, l’époque était à l’exaltation des héros et de la nature. Néanmoins la bienséance voulait des thèmes charmants, aimables et distingués. Les roses devaient exhaler comme un soupir leur parfum de fleurs virginales. Une demoiselle de condition ne pouvait évidemment s’atteler à un nu. Le modèle du grand homme exigeait une armure associée à des yeux angéliques et à des mains délicates, mieux faites pour feuilleter un livre de prière que pour manier le sabre. Les messieurs, bien entendu, se permettaient parfois des allusions coquines, voire des caricatures. Mais les jeunes filles, dont les joues mêmes étaient baptisées “trônes de la pudeur”, passaient leur enfance dans les lys et dans les seringuas. Voilà comment l’élite victorienne imaginait la délicieuse complexité féminine : une sorte d’opaline effarouchée qui ne rêvait que de harpe et d’aquarelle. Les enfants du roi des Français furent donc priés d’avoir du talent et de l’exprimer sous des diaprures gothiques en marbre d’Italie. C’était sans compter avec l’extraordinaire personnalité des trois filles et des cinq fils du couple royal, personnalité que la monarchie de juillet, dès 1830 permit de relier à la grande histoire.

'Jetée de fleurs' aquarelle par Louise d'Orléans en 1828. © DR

'Jetée de fleurs' aquarelle par Louise d'Orléans en 1828. © DR

Louise, qui devint reine des Belges et qui fut obligée de se marier à un roi élu et quadragénaire, se trouvait sous le regard de l’opinion. Elle ne pouvait donc exprimer son talent et sa grande sensibilité que dans des gouaches un peu convenues, mais on devine par sa correspondance qu’elle ressemblait un peu à ces volcans au pied desquels sa noble mère avait été élevée.

La grande artiste fut sa sœur Marie de Wurtemberg dont les réalisations dépassèrent les grilles du château de Neuilly. Aussi vive en matière de dessins que forte dans la sculpture, elle fut reconnue comme une figure marquante de son époque et célébrée à l’égal de bien des contemporains.

'Jeanne d'Arc pleurant à la vue d'un Anglais blessé' (1834) par Marie de Wurtemberg, exposé au Musée de Grenoble. © DR

'Jeanne d'Arc pleurant à la vue d'un Anglais blessé' (1834) par Marie de Wurtemberg, exposé au Musée de Grenoble. © DR

Certes, on n’en était pas encore au stade Camille Claudel, mais elle mettait tout entier son génie juvénile dans la création d’une Jeanne d’Arc, d’une Chasse ou faucon ou d’une Amazone qu’admirait le public sans trop réaliser que cette artiste morte à 26 ans était sans doute une féministe avant l’heure, très sensible au caractère viril de ses héroïnes. En 2008, le Musée du Louvre lui a consacré une rétrospective majeure.

Clémentine, la troisième, surnommée “Clémentine de Médicis” du fait de ses intrigues politiques, avait trouvé sa voie dans un art où tant de jeunes ambitieux se sont cassé les dents. Son fils cadet, Ferdinand de Saxe-Cobourg, lui dut en partie son élévation au trône de Bulgarie ainsi que d’autres qualités très florentines.

'Ferdinand-Philippe d'Orléans en 1840 en Algérie' par Henri-Félix Philippoteaux. © DR

'Ferdinand-Philippe d'Orléans en 1840 en Algérie' par Henri-Félix Philippoteaux. © DR

L’héritier de la monarchie de juillet était Ferdinand, jeune homme aussi intelligent que fougueux, brave et populaire. Il personnifiait très bien la jeunesse qui provoqua le scandale d’Hernani : valeureux, romantique et ami de la modernité. Sa mort prématurée en 1842, à la suite d’un accident de calèche, fut un drame pour toute la famille. Protecteur des arts et collectionneur, il fut aussi un esprit narquois dont les aquarelles, fort bien enlevées, ne faisait que mettre en valeur ses innombrables qualités. Bien qu’il fût tout le contraire d’un certain empereur romain, on peut le retrouver dans la hiérarchie des valeurs qu’exprima Néron au moment de son suicide : Quel artiste le monde va perdre (Qualis artifex pereo !) ! Son fils, le comte de Paris, fut avant tout un prétendant malheureux, mais on sait qu’il finança les constructions extravagantes de Louis II de Bavière.

'Les enfants musiciens' d'Auguste Carliez. © DR

'Les enfants musiciens' d'Auguste Carliez. © DR

Françoisprince de Joinville, grand voyageur devant l’Eternel, excellait dans la caricature. On garde de lui des “Vieux Souvenirs” pleins d’humour et illustrés de sa main. Tout comme son frère, le duc d’Aumale, il n’hésita pas à se lancer en politique après la chute de Napoléon III. Sa fille, la duchesse de Chartres, et sa petite-fille, la princesse Valdemar de Danemark (élève d’Auguste Carliez), étaient des aquarellistes de fort belle qualité. Il faut dire que cette dernière n’avait certainement pas épousé le mari de ses rêves et qu’il lui fallait des compensations.

Adam Jerzy Czartoryski acquiert 'La Dame à l’hermine' de Léonard de Vinci pour l’offrir à sa mère Izabela en 1798. © DR

Adam Jerzy Czartoryski acquiert 'La Dame à l’hermine' de Léonard de Vinci pour l’offrir à sa mère Izabela en 1798. © DR

Le duc de Nemours eut une carrière plus adaptée à son rang, même s’il rata quelques trônes à portée de main. Militaire courageux, il tomba moins dans le chaudron des arts, encore que son petit-fils, le prince Adam Czartoryski, fut une des plus grands collectionneurs de Pologne.

'Vente de charité pour les victimes de Guadeloupe dans le Grand Salon du Palais Royal à Paris' par Eugène-Louis Lami. © DR

'Vente de charité pour les victimes de Guadeloupe dans le Grand Salon du Palais Royal à Paris' par Eugène-Louis Lami. © DR

Le duc d’Aumale a été sans doute le plus brillant des princes d’Orléans, après son frère Ferdinand. Général accompli, homme politique et mécène, il hérita de l’immense fortune des princes de Condé et s’en servit pour faire de Chantilly un des plus beaux musées de France. On y retrouva Eugène Lami qui l’aida à recréer de fastueux décors. Exilé en Angleterre, il vécut au très confortable château de Twickenham où il écrivit de nombreux ouvrages historiques, tout en pestant un peu contre la lourde verdure anglaise à laquelle il préférait les paysages épurés du sud.

L'entrée principale, de l'intérieur du palais de Sanlúcar de Barrameda. © DR

L'entrée principale, de l'intérieur du palais de Sanlúcar de Barrameda. © DR

Enfin, Antoineduc de Montpensier, devenu par son mariage infant d’Espagne, fut probablement victime de son intelligence via des contorsions politiques – toutes ratées – pour devenir roi de son pays d’adoption. Ses goûts artistiques se manifestèrent dans l’extraordinaire palais de Sanlúcar de Barrameda près de Cadix.

Après cette première explosion de talents dans la famille, c’est au XXesiècle que le gène responsable ressortit avec enthousiasme dans une descendance de plus en plus entrecroisée. Je ne cite ici que les princes ou princesses qui y ont trouvé un véritable épanouissement de l’âme.

Tout d’abord, les sœurs de la superbe duchesse de Guise (née Isabelle d’Orléans) : Amélie, reine du Portugal qui s’intéressait à tous les arts, mais où celui du pinceau apparaissait comme un refuge dans un pays ravagé par les attentats,  dont celui de 1908 qui finit par tuer son mari et son fils aîné. Ensuite, Louise, princesse de Bourbon-Siciles, qui transmit cette passion à trois de ses filles, la princesse Czartoryski, la comtesse de Barcelone (mère du roi Juan Carlos) et la princesse Gaston d’Orléans-Bragance, belle-sœur du comte de Paris (que le lecteur ne se perde pas dans un récit aussi dense : les Orléans n’ont jamais tremblé devant les cousinages).

Enfin, la phase décisive se produisit chez les enfants du même comte de Paris. Soit, selon une sorte d’inventaire à la Prévert (ou un dérivé de la parabole des talents…) :

'La vie est belle' par Isabelle de France. © DR

'La vie est belle' par Isabelle de France. © DR

'Mon village' par Isabelle de France. © DR

'Mon village' par Isabelle de France. © DR

Isabelle, comtesse de Schönborn-Buchheim, dont les expositions en Autriche ont attiré les regards. Après avoir étudié l’aquarelle avec Maître Fush et Mili Posos, elle a approfondi le travail si difficile que demande cette matière insaisissable et hostile aux repentirs. Sa fille Claire est déjà prête à assurer le relais.

Henri, troisième comte de Paris et duc de France, qui maniait l’aquarelle et l’encre de Chine pour exprimer tant la beauté du monde que ses propres tourments, le tout avec une virtuosité surprenante. Marie Liechtenstein et Marie-Liesse de Rohan-Chabot, respectivement fille et belle-fille du prétendant, poursuivent dans cette genèse innombrable. Et comment ne pas citer Eudes, duc d’Angoulême , dont les dessins au crayon ont été admirés lors d’une exposition organisée chez les Dassault !

Un dessin de la princesse Hélène d'Orléans. © DR

Un dessin de la princesse Hélène d'Orléans. © DR

Hélène, comtesse Evrard de Limburg Stirum, qui exalte, dans un impressionnisme très personnel, beaucoup de douceur, de finesse et de fluidité alors que sa formation a été partagée entre Mili Posos, Emerico Nuñes, Maître Fush et Maître Schurr (sa fille, Catherine de Limburg Stirum – elle aussi extrêmement douée, sous le nom de Catherine Ailesse – a développé un art du portrait assez âpre et prenant. Ajoutons sa petite-fille Céleste ainsi qu’Angélique de Limburg Stirum qui démontrent l’imprégnation totale de tels talents. Cela va plus loin encore : Jean, fils de Louis de Limburg Stirum, est un guitariste exceptionnel, tandis que Félix et Achille, fils de Bruno, sont tous deux férus de dessins du genre fantastique. Le monde de la bande dessinée n’a qu’à bien se tenir !

'Une valse' par la princesse Anne d'Orléans. © DR

'Une valse' par la princesse Anne d'Orléans. © DR

'Nocturne' par la princesse Anne d'Orléans. © DR

'Nocturne' par la princesse Anne d'Orléans. © DR

Anne, duchesse de Calabre, également influencée par la portraitiste portugaise Mili Posos et dont les œuvres ont été exposées dans de nombreux musées. Ses deux dernières filles, Inès et Victoria de Bourbon-Siciles, très douées, enrichissent encore ce panthéon capétien.

Un sculpture de la princesse Diane d'Orléans. © DR

Un sculpture de la princesse Diane d'Orléans. © DR

Un sculpture de la princesse Diane d'Orléans. © DR

Un sculpture de la princesse Diane d'Orléans. © DR

Diane, duchesse de Wurtemberg, à la fois peintre et sculptrice éprise de modernité, dont la renommée rappelle en plus fort les œuvres de Marie de Wurtemberg au siècle précédent.

'Paysage avec oiseaux' par le prince Michel d'Orléans. © DR

'Paysage avec oiseaux' par le prince Michel d'Orléans. © DR

Michel, comte d’Evreux, auteur de marqueteries raffinées où ses talents d’artisan aboutissent à une splendide créativité.

Une photo des Jacques d'Orléans du Luberon,. © DR

Une photo des Jacques d'Orléans du Luberon,. © DR

Jacques, duc d’Orléans, jumeau du précédent, surtout attiré par l’art photographique. Ses vues des Invalides et ses séries sur les fontaines de Provence sont devenues des classiques. Sa belle-fille, Ileana Manos, nièce de la fameuse princesse Aspasie de Grèce, manifeste – dans la meilleure tradition d’une grande famille phanariote – des dispositions multiformes (dont la peinture à l’huile) qui l’ont fait connaître à Paris

'Graffiti' par le prince Claude d'Orléans. © DR

'Graffiti' par le prince Claude d'Orléans. © DR

'Ficelle' par le prince Claude d'Orléans. © DR

'Ficelle' par le prince Claude d'Orléans. © DR

Claude, ex-duchesse d’Aoste, tout aussi brillante dans cette même exploration intellectuelle de l’instant. Ses photos bénéficient d’une technique très originale : ne dépassant pas un millimètre au départ, elles sont agrandies jusqu’à 1m20 et présentent des images abstraites à la fois mystérieuses et prenantes.

'Orange' par la princesse Chantal d'Orléans. © DR

'Orange' par la princesse Chantal d'Orléans. © DR

'Sous-bois' par la princesse Chantal d'Orléans. © DR

'Sous-bois' par la princesse Chantal d'Orléans. © DR

Chantal, baronne de Sambucy de Sorgue, naviguant sur la peinture à l’huile et qui est même devenue membre honoraire de l’Académie des Beaux-Arts de Moscou (grâce à Dieu, bien après l’ère du réalisme soviétique !).

Qui pourrait affirmer après cela que l’hérédité est une invention des généalogistes ! Elle a même des effets contagieux, puisque les « pièces rapportées » de la maison d’Orléans semblent participer harmonieusement à ce bruissement culturel. Chacun de ces artistes royaux mériterait une monographie, encore que ce feu d’artifices renforce l’originalité d’une famille aussi douée pour le réalisme que pour l’abstraction. Et dire que ses contemporains traitaient Louis-Philippe Ier de “roi bourgeois” ! Jamais une réputation ne fut plus fausse, car il savait pertinemment d’où il venait et ce que signifiait l’éducation des princes, tout en adoptant un comportement citoyen qui plaisait aux nouvelles élites. Sa descendance est le formidable effet d’une conduite très réfléchie où l’irruption de l’art devançait les ambitions de son époque. Il avait compris que le vrai prestige d’un roi et de sa famille repose sur la capacité d’absorber le monde et de le recréer.

En couverture : Une œuvre de la princesse Diane d’Orléans. © DR

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Exposition

Leurs Altesses Royales, les Princes et Princesses d’Orléans à la Galerie Berko

Dates

Du 18 août au 4 septembre 2022

Adresse

Galerie Berko
Kustlaan 163
8300 Knokke-Heist
Belgique

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