Jean des Cars
04 February 2022
Avec la précision d’un entomologiste et un puissant souffle littéraire, l’auteur nous introduit dans les recoins de cette maison que Charles de Gaulle avait achetée en viager, en 1934. Nous sommes, dans la Haute-Marne, à une quinzaine de kilomètres de Bar-sur-Aube. L’automne est pluvieux et venteux, mais peu importe : de Gaulle aime ce “cher et vieux pays”, cette France champenoise plutôt austère, aux horizons tristes, proche de la Lorraine, calme mais qui fut souvent un carrefour de l’Histoire. “Vieille terre, rongée par les âges, rabotée de pluies et de tempêtes, épuisée de végétation mais, indéfiniment, à produire ce qu’il faut pour que se succèdent les vivants”, estime le Général (*). Le vent butte sur la maison et ses volet fermés.
"La Boisserie", propriété du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne). © Jacques Cuinières/Roger-Viollet/Photo News
Du lundi 9 novembre 1970, à 8 heures du matin, jusque vers 18h45, le lecteur accompagne, heure par heure, l’homme à qui les Français ont dit “non” au referendum du 27 avril 1969. Depuis mai ’68, la France avait changé. La Boisserie est sans doute mieux qu’un décor, c’est le témoignage d’un caractère et d’un art de vivre. Pas de luxe, du confort mais aucun gaspillage et un souci d’économies légendaire, comme à l’Élysée quand il y résidait : le maître de maison éteint la lumière quand il quitte une pièce où il ne doit pas revenir rapidement. Le faste élyséen, très maîtrisé, quand de Gaulle était président, ne se retrouve pas à La Boisserie. Le téléphone ? Le Général le considère comme un “intrus”, seulement utile “s’il s’agit d’échanger des informations, et non de tenir des conversations”, souligne l’auteur. Aussi, pas de téléphone : “ni dans le salon, ni dans la bibliothèque et encore moins dans sa chambre, il n’y a jamais eu de combiné en vue !”. Alors, on peut imaginer une scène pittoresque : le seul téléphone est accroché sous l’escalier, dans l’entrée, près du coffre à bois, mais le Général se dérange rarement pour répondre à un appel. “C’est surtout Yvonne qui s’en sert pour passer ses commandes auprès des commerçants de Chaumont ou de Bar-sur-Aube, ou pour communiquer avec les enfants.”
Le général de Gaulle à Bruxelles au Poilu Inconnu en 1945. © Photonews
La simplicité n’est pas le laisser-aller. Ainsi, le Général n’apparaît-il jamais, même pour ses proches, en pyjama ou en robe de chambre. Costume gris trois pièces, chemise blanche et cravate sombre venant d’une bonne maison, c’est, si l’on peut dire, son uniforme civil. Et les horaires ? Dans leur chambre, Yvonne de Gaulle se réveille de bonne heure, essayant de ne pas écourter le sommeil du Général. Lui, se réveille un peu avant huit heures, mais lance un jour à son fils Philippe cette boutade : “Toi et moi sommes des couche-tard et des lève-tard, pas faits pour être des militaires !”
En trois parties – Un gentilhomme solitaire ; Écrire pour l’Histoire et Le grand départ –, Gérard Bardy relate avec une émouvante précision cette journée historique. Les dernières heures d’un homme qui incarne une histoire de la France depuis 1940. Mais loin d’être austère, l’ouvrage met en valeur des comportements peu connus de de Gaulle. “On l’a peu dit, mais le Général est bon public à l’égard de certaines émissions de télévision qui passionnent la France, par exemple Intervilles et les courses de vachettes commentées par Guy Lux depuis 1962.” La France profonde de l’époque. En revanche, l’homme cultivé, imprégné d’histoire et d’un tempérament d’écrivain, peste contre l’usage de plus en plus répandu du franglais. Il enrage contre l’ORTF qui ne défend pas la belle langue française. Rappelons que de Gaulle écrit beaucoup. Il a longtemps utilisé des stylos à réservoir qu’il remplissait sans éviter de se tacher les doigts. Il s’est converti au stylo à cartouche, uniquement d’encre noire. Il écrit, entouré de plus de 2100 ouvrages – des grands classiques français et étrangers – et peut truffer ses conversations de citations, par exemple de Chateaubriand. Éclectique, il s’intéresse aux racines culturelles des peuples.
Le Général a un bon coup de fourchette, qu’il justifie par ses 110 kilos et son 1,96 mètre. “Le sandwich n’est pas son genre ! Le dernier qu’il ait avalé remonte au 17 juin 1940, à Bordeaux, juste avant de s’envoler vers Londres pour les ‘aventures’ que l’on sait.” À 18h45, alors qu’Yvonne répond à son courrier personnel, le Général s’installe à sa table de bridge et étale son jeu de cartes pour commencer une réussite. C’est un rite, en attendant les informations régionales à la télévision. Rappelons que c’est à lui que l’on doit la création, par l’ORTF, de stations régionales.
Vers 18h50, le Général pousse un cri de douleur : “Oh ! J’ai mal, là, dans le dos“, murmure-t-il en y portant la main. Il s’affaisse doucement. Cette fois, Yvonne le sait, la mort a gagné la partie. Son mari ne parlera plus. Le lendemain, au journal télévisé de 13 heures, le président Georges Pompidou annonce : “Françaises, Français, le général de Gaulle est mort, la France est veuve“. En conclusion de son beau livre, Gérard Bardy rappelle que de Gaulle avait refusé d’être inhumé au Panthéon ou au Mont Valérien. Il avait choisi, une dernière fois, de reposer au milieu des hommes et des femmes de son village, dans ce “cher et vieux pays”…
(*) in Mémoires de Guerre, tome III Le Salut, Éd. Plon, 1959
Photo de couverture : Le général de Gaulle (1890-1970) dans sa propriété de La Boisserie, à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne). © Jacques Cuinières/Roger-Viollet/Photo News
À lire
Dernières heures à Colombey – La mort du Général, par Gérard Bardy, préface de Laurent de Gaulle, Éd. Télémaque, octobre 2020, 200 p.
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