Rédaction
05 September 2017
Eventail.be - Votre dernier livre n'est ni un roman, ni un recueil de nouvelles... Un récit mystère?
Eric-Emmanuel Schmitt - Je ne fais pas de nouvelles comme le font mes collègues, j'ai ma façon de les écrire. Ces quatre histoires s'éclairent les unes les autres. Je les ai composées de la première à la dernière ligne comme vous les avez lues. « La vengeance du pardon », la matrice et le titre du livre, est suivie par ses trois petites sœurs, arrivées dans ma tête très naturellement. Toutes racontent les différentes formes que peut prendre le pardon.
- La vengeance traverse le livre. Pourquoi ce thème ?
- L'histoire « La vengeance du pardon » est venue en premier dans ma tête alors que je venais de prendre la direction du Théâtre Rive Gauche à Paris. J'avais rencontré l'avocat d'un serial killer détenu à la maison centrale d'Ensisheim en Alsace. Dans mon histoire, Elise décide de rencontrer l'assassin de sa fille, le tueur en série, Sam, écroué à perpétuité en prison (aussi à Ensisheim, ndlr). Le pardon est un sentiment humain étrange, parfois incompréhensible. J'essaie de comprendre la démarche d'Elise. Marc Dutroux, par exemple, est un criminel qui me terrorise le plus. Il y a un calcul derrière sa pulsion de tuer. Il a le projet d'enfermer les jeunes filles, de les tuer une par une dans la même cave. Cela dépasse mon entendement. Je n'ai pas envie de comprendre ce criminel.
Les dix membres de l'Académie Goncourt se réunissent tous les premiers mardis du mois © Philippe Matsas |
- Vous est-il arrivé de pardonner ?
- Oui, parfois avec mépris. Il m'est difficile d'accorder mon pardon à ceux qui ont fait du mal à des gens que j'aime. Une partie de ma famille, miraculeusement indemne, était à l'aéroport de Zaventem lors des attentats terroristes. La balle est passée près de moi. Parce qu'on entre dans la chair de mes proches, j'irais vers la vengeance. Je me suis projeté, j'ai parlé à beaucoup de victimes des attentats. On touchait mes limites intérieures. Il est encore plus difficile d'être pardonné. On est dans une position humiliante. On a le nez dans sa faute, on se retrouve dans le regard de quelqu'un de plus humain que soi. Le pardon est à géométrie variable. La décision de pardonner enclenche un processus. Elle ouvre un espace pour aboutir, peut-être, dans la paix, dans le rapport avec l'autre.
- Vous être membre de l'Académie Goncourt depuis un an. Comment s'est déroulée votre première année de juré ?
- J'ai accepté la proposition de Bernard Pivot en un après midi. Je devais choisir entre l'Académie Goncourt et l'Académie Française. La première concerne les écrivains qui se passionnent pour l'écriture des autres, elle sollicite l'altruisme. Il y a une utilité. À l'Académie Française, on célèbre une personne, on ne fait rien. Je ne suis pas à la recherche d'une reconnaissance, elle est venue dès que j'ai écrit. Je ne sais pas si j'aurais supporté l'attente du succès, l'aigreur qui l'accompagne. Nous nous réunissons tous les premiers mardis du mois. On dialogue tous les jours par mail sur les lectures de chacun, une idée instaurée par Bernard Pivot. J'ai lu quatre-vingts romans. Nous procédons à la première sélection (15) qui sera dévoilée le 5 septembre.
- Amélie Nothomb aura-t-elle une chance d'obtenir le prix cette année ?
- Amélie Nothomb, un peu comme dans mon cas avant, a eu tellement de succès qu'elle n'a pas besoin d'un prix. Beaucoup de membres pensent qu'elle est hors Goncourt. C'est discutable, je ne suis pas d'accord avec ça. On ne doit pas exclure quelqu'un du Goncourt sous prétexte qu'il a déjà beaucoup de succès. Autrement, on ne l'aurait pas attribué à Michel Houellebecq pour son roman « La carte et le territoire » (Ed. Flammarion) en 2010 alors que le prix lui avait échappé auparavant, notamment en 2005 (« La possibilité d'une île », Ed. Fayard, a reçu le prix Interallié, ndlr). Aujourd'hui, je pense qu'il ne l'aurait pas. Tout dépend de qui compose la table. C'est mathématique et fragile.
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