Corinne Le Brun
21 June 2021
Prix Renaudot 2017 pour "La disparition de Joseph Mengele" et auteur de "L'éloge de l'esquive", l'écrivain publie ses écrits et chroniques sur le foot parus dans la presse. En bon romancier, il instille de la fiction, notamment sur ses débuts de footballeur « de génie, promis à une carrière de super champion », selon sa mère. Né au football avec la Coupe du monde 82, sa passion folle pour le ballon ne l'a pas quitté. Entretien.
Eventail.be - Pourquoi le football est-il une passion absurde ?
Olivier Guez - Une passion est toujours démesurée. Au départ, c'est un jeu simplissime. Il ne faut pas être Prix Nobel de physique pour pousser un ballon et le faire entrer dans une cage. Ce jeu pour enfant est devenu un gigantesque enjeu financier, médiatique et politique. La dimension qu'a pris le football est absurde. L'état de transe à la fois individuel et collectif qu'il procure à des gens posés, calmes, rationnels est étonnant. Il y a quelque chose d'absurde et de dévorant. Me concernant, le temps que j'ai pu consacrer au football est fascinant. J'aime toutes les compétitions internationales. J'aime ce cérémonial, tout ce qui a autour, la frénésie dans le stade. La passion du foot ne m'a pas dévoré en tant que journaliste. Ceci dit, encore aujourd'hui, pendant une compétition internationale, si des amis viennent, je ne transige pas, je regarderai le match. Je n'ai pas vu une rencontre depuis la Coupe du monde. J'ai envie de renouer.
© Hannah Assouline |
- Comment voyez-vous l'Euro 2020 ?
- À l'approche d'une grande compétition, on sent qu'il y a quelque chose dans l'air, encore plus particulier avec le COVID-19. On est dans le chaos. On a tous vécu individuellement et collectivement des moments compliqués, angoissants, cela va mieux aujourd'hui. On sort du formol. Ce tournoi va nous permettre de penser à autre chose, on vivra une pause métaphysique. Cet événement nous donnera l'occasion d'ouvrir les fenêtres. On était enfermés, obnubilés par la crise sanitaire. On va s'ouvrir à l'international, au cosmopolite, ce qui fait le charme de l'Europe. On va voir d'autres maillots, d'autres langues, certains supporters vont voyager. C'est un Euro itinérant qui a des vertus thérapeutiques. L'Euro va faire du bien.
- Vous évoquez les origines et l'art du dribble...
- C'est l'approche du foot que j'ai voulu transmettre avec le livre « L'éloge de l'esquive ». Quand vous racontez l'histoire du football, vous racontez l'histoire d'une société. Vous pouvez développer la question raciale au Brésil et la modernité argentine. Le dribble, c'est éliminer l'adversaire. Les dribbleurs sont plus faibles, petits, chétifs donc il faut tromper celui qui est face. C'est de la malice, à la limite du hors-jeu. Au Brésil, cela peut être des joueurs noirs par rapport aux joueurs blancs avec des mouvements dont l'origine est la capoeira, la samba... En Argentine, c'est un football de rue, sur les terrains vagues, les "potreros". C'est aussi l'idée d'éliminer quelque part un adversaire invisible mais omniprésent qui est l'Anglais et l'Européen, en général. C'est aussi le complexe de l'Argentin. Après, le dribble est devenu un mouvement classique du football.
© Pacificcoastnews/Photo New |
- Vous associez Lionel Messi « à la vacuité du football contemporain mondialisé ». Pourquoi ?
- Maradona et Messi sont deux génies du ballon. Messi incarne la vacuité du football internationalisé. Si vous le suivez sur Instagram, vous remarquerez qu'il ne raconte rien. Il a marqué quatre buts en Ligue des Champions, - un exploit incroyable - et, le lendemain, il va poser avec sa famille avec un paquet de chips qui le sponsorise et son chien, comme si de rien n'était. C'est la vacuité absolue, à l'image de la société hyper mondialisée, aseptisée et hypocrite. On ne sait rien de Messi. Avec Maradona, c'est touchant. C'est une machine aussi, mais faillible et il ne le cachait pas.
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- Quel lien faites-vous entre littérature et football ?
- J'ai toujours été fasciné par la littérature. Le lien entre les deux, ce sont des trajectoires, des destins, des histoires. L'histoire de la FIFA, c'est mieux que la fiction, avec des personnages tellement improbables. Chuck Blazer, la "taupe" de la FIFA, était un escroc magnifique. J'aurais aimé le connaître. À ce niveau-là, ce sont des personnages de littérature, évidemment. Je ressens une même passion pour la littérature et le football, il n'y a aucune différence. Cela fait partie de moi. Il n'y a pas de césure entre la haute culture et une culture populaire.
- Vous citez Camus, Nabokov, Montherlant, passionnés de football, contrairement à l'écrivain argentin Jorge Luis Borges qui méprisait ce sport populaire...
- Je le soupçonne d'avoir menti. On a beaucoup parlé de football en Argentine à la fin des années 70 quand le pays a accueilli la Coupe du Monde. Pour le coup, c'est l'opium du peuple. On est alors dans une méchante dictature, la junte au pouvoir agite un peu le chiffon du football pour faire oublier le reste. Dans ce contexte, Borges pouvait se permettre de dire cela. Il était intouchable en Argentine. C'est son snobisme que je trouve intéressant.
Il est temps pour les Diables Rouges de remporter un trophée © DR |
- Vous ne mentionnez pas l'équipe belge...
- J'ai passé beaucoup de temps à Bruxelles, après avoir étudié au Collège d'Europe à Bruges à la fin des années 90. J'aimais beaucoup l'équipe belge des années 80. Pfaff, Ceulemans, Vercauteren, Scifo... étaient une très belle équipe. Les gardiens font plus de facéties. Pfaff était prodigieux. René Higuita, surnommé "Le roi Scorpion" peut taper la balle au pied comme la queue d'un scorpion. C'est un risque énorme. Pfaff était capable de telles fantaisies. Il est temps que l'équipe belge gagne quelque chose. Lukaku, Hazard, De Bruyne forment une belle génération.
- Jouer sans public, est-ce un inconvénient?
- Les joueurs sont des bêtes. Ils ont l'habitude maintenant, je pense, de jouer dans un stade vide. Cela aura un impact assez mineur. Si c'était un pays unique qui organisait la compétition ce serait un vrai désavantage pour le pays hôte. Vu la situation sanitaire, le hasard fait bien les choses. C'est un peu plus égalitaire que s'il y 'avait qu'un pays hôte.
- Le football féminin réussit à s'imposer. Qu'en pensez-vous?
- Je trouve très bien qu'on joue au football. Homme ou femme, cela n'a aucune importance. On en fait peut-être un trop. On associe le football à une forme de virilité et au fond, tout se féminise. Il faut des grandes championnes. Le fait qu'on en fasse autant prouve que ce n'est pas encore normal. C'est un peu comme le Prix Nobel de la Paix qu'on avait accordé à Obama alors qu'il avait à peine commencé à travailler, simplement pour sa couleur de peau. C'est un peu du racisme inversé. Le stade est un défouloir. Si vous regardez d'où vient le joueur, quelle est la couleur de sa peau, cela devient une entreprise politique, ce que n'est pas un club de football. Le racisme persiste et dans le football et ailleurs.
- Vous auriez voulu être footballeur professionnel?
- J'ai joué comme tous les gamins, dans un petit club à Strasbourg. Rien de dingue. J'adorais les livres déjà. On ne peut pas se livrer à deux passions en même temps. J'ai fait le lien en écrivant aussi sur le football.
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