Corinne Le Brun
09 April 2020
Pas question pour la romancière d'abandonner le style primesautier qui fait son succès pour s'attaquer à la vie des sexuelles des insectes. Roman léger, joyeux, bourré d'humour et d'interjections, Bed Bug (punaise de nuit) est l'histoire d'une Bridget Jones post-#MeToo. Rose, jeune biologiste brillante, maîtrise parfaitement ses recherches à Paris et New York. Quand elle tombe amoureuse de Léo, là, elle perd pied... « Le petit menuet de Mozart qui raconte des noirceurs de l'âme, j'aime ça » prévient Katherine Pancol.
Eventail.be - #MeToo est né aux Etats-Unis. Un hasard ?
Katherine Pancol - Les USA sont un pays à part, où il y a une vraie guerre des sexes. La dernière fois que je suis allée aux USA, le film Judy (de Rupert Goold) était à l'affiche. Mes quatre copines américaines étaient remontées comme des lapins mécaniques arguant que cette vision de la femme en l'occurrence Judy Garland qui ne réussit que grâce à un homme est totalement révoltante. Elles m'intimaient de choisir mon camp ! Mais c'est comme dans la vie. Quand quelqu'un te donne ta chance tu la prends. Que ce soit un homme ou une femme, on s'en fiche. Il y a un phénomène aux USA où toutes les communautés doivent revendiquer une fierté de ce qu'elles sont : les homosexuels, les roux, les gros, les féministes, les timides, les aveugles, les professeurs de maths... On ne sait plus où poser les pieds. C'est tellement violent. Je fais attention quand je parle. Cette tendance existe depuis très longtemps. Dans les années 90, un homme ne montait pas seul avec moi dans l'ascenseur de peur que je dise en sortant qu'il m'avait assailli. Depuis, le processus s'est développé petit à petit avec la fierté d'appartenir à un groupe. Certes, il y a une hiérarchie, mais à peine.
© Sylvie Lancrenon |
- Que pensez-vous du mouvement #MeToo ?
- Depuis #MeToo, les histoires d'harcèlement sexuel se sont propagées. Je suis contente de cela. La loi du silence pesait car les hommes s'en sortaient toujours. Maintenant, du fait que les actrices aient parlé et que Harvey Weinstein ait été condamné à 23 ans de prison, les hommes dans l'industrie du cinéma doivent faire très attention. D'autres milieux sont impactés, grâce aux paroles de femmes agressées. Ce qui est bien. Je pense qu'il y avait trop d'abus d'harcèlements sexuels. Maintenant, il faut que cela devienne systématique même s'il faut qu'il y ait aussi un juste milieu. Car, comme tout phénomène révolutionnaire, c'est difficilement maîtrisable.
Katherine Pancol
- Il y a la présomption d'innocence...
- Oui, absolument. Adèle Haenel a finalement porté plainte. La justice tranchera. Une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve, défendent la "liberté d'importuner". J'adhère à ce point de vue. Quand on vous fait un compliment parce que vous êtes mignonne, ce n'est pas désagréable quand même. Il faut se respecter les uns autres, ne pas faire à autrui ce que vous n'aimeriez pas qu'on fasse à vous. Le respect est l'endroit où on pose les limites. Ce n'est pas la peine de jeter des anathèmes. Mon fils est très respectueux, soucieux de protéger les faibles. J'ai appris à ma fille à être indépendante financièrement, à exiger le respect de la part des hommes et à respecter tout le monde.
Katherine Pancol avec Matilda May Coadic © DR |
- Aujourd'hui, que diriez-vous du désir féminin chez les jeunes ?
- Les femmes ont plus la conscience d'elles professionnellement. Elles travaillent, elles peuvent changer de boulot, elles commencent à savoir qu'on doit les respecter et elles savent mieux ce qu'elles veulent. Pour écrire le personnage de Rose, j'ai parlé à bon nombre de filles de 29-30 ans. Elles sont beaucoup plus sûres que moi à leur âge, sauf sentimentalement parlant. Elles ont toujours envie de rencontrer un homme parfait, un prince charmant, qui n'existe pas quand même. Elles sont dures avec les hommes. Elles parlent d'eux avec un réalisme cru et, en même temps, elles déplorent le fait qu'il n'y en ait plus. Elles sont totalement contradictoires. Avec Rose, je voulais peindre un personnage qui, pétri de contradictions, ne sait pas comment aimer. Rose n'aime personne parce que personne ne l'a aimée. Aujourd'hui, on voit les ravages que peut faire une enfance malheureuse alors qu'avant, on "faisait avec". On ne parlait pas. Il n'y avait pas de psychanalyse. Beaucoup étaient coincés dans une identité figée.
© Christophe Clovis/Photonews |
- Récemment, vous avez dévoilé avoir été violée dans votre adolescence
- J'avais raconté cela dans J'étais là avant (Ed. Albin Michel, 1999). Cela m'est arrivé plusieurs fois. À l'âge de douze ans, de la part du voisin. Plus tard, à vingt ans, alors que j'étais étudiante, je me suis fait agresser, à Francfort. Je l'ai raconté, mais tout le monde s'en foutait. Même ma mère minimisait mes propos. À l'époque, porter plainte aurait été l'occasion de me culpabiliser « puisque je l'avais bien cherché ». C'était comme le droit de cuissage au Moyen-Age. Je m'aperçois que je ne suis pas la seule. Les mentalités ont changé: les mecs font beaucoup plus attention maintenant.
- Vous êtes romancière, journaliste. Militante ?
- Je ne suis plus journaliste depuis 2008. Je participe à la cause les femmes victimes de violences via l'association Women safe cofondée par Frédérique Martz. Prochainement, je vais commencer des ateliers d'écriture pour les enfants de ces femmes-là. Une façon d'évacuer ses propres récits en racontant d'autres histoires.
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