Rédaction
21 June 2017
À quoi pense Nel, la jeune épouse du peintre, tandis qu'elle se penche et s'appuie sur le manteau d'une cheminée, pour se regarder dans un grand miroir ? Le spectateur ne pourra que le deviner, en faisant jouer son imagination et en interprétant deux traits de peinture seulement, un gris-marron pour un œil, un rouge pâle pour une bouche pincée, tous deux reflétées dans la glace.
Rik Wouters, La Dame au collier jaune , 1912, huile sur toile. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. © photo : J. Geleyns / Ro Scan |
Chef-d'œuvre de Wouters qu'il réalise en ce début de Première Guerre mondiale – deux ans seulement avant sa mort prématurée –, ce grand tableau se veut un véritable jeu pictural, pour le peintre, et une invitation à compléter son œuvre, pour le spectateur. Car ce qui saute à nos yeux, c'est le caractère inachevé du tableau : le coin inférieur droit est même en grande partie vierge et ses motifs à peine esquissés. Fainéant, Rik Wouters ?
Rik Wouters, Dame en bleu devant une glace, 1914, huile sur toile. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. © photo : J. Geleyns / Ro Scan |
En aucun cas ! Il est vrai que le bas de la toile laisse de grands champs semblant inaboutis. À gauche, une grande cruche est esquissée d'un vigoureux trait de pinceau qui ne charriait que peu de pigments dans ses poils. À droite, la console posée devant la cheminée n'est dessinée qu'en de rapides hachures servant de prétexte pour y poser un grand vase vert contenant de grosses fleurs blanches. Dans un mouvement centripète, le peintre concentre subtilement notre regard vers le milieu du tableau, là où il apparaît le plus achevé. Mais le jeu de piste n'est pas fini ! De Nel, on ne découvre que la nuque et l'arrière de sa chevelure.
Rik Wouters, Autoportrait avec un cigare © Droits réservés |
Son visage se devine dans le reflet du miroir, encore barré par un rai de lumière bleu ciel. On y discerne aussi une ouverture vers l'extérieur (voyez cette fenêtre rendue de manière abstraite par de réguliers rectangles de couleurs différentes) et quelques cadres, dont deux semblent même se chevaucher.
Peintre de l'intime, Rik Wouters n'en demeurait pas moins un artiste de son temps, au fait des tendances alors en plein essor dans l'art européen. Le "fauviste brabançon" n'a certes pas oublié les leçons d'un Matisse ou d'un van Dongen en matière de coloris chatoyant ; mais il semble tout aussi à l'aise avec les prémisses de l'abstraction qui déferle de la Russie de Malevitch et de l'expressionnisme allemand. Jouant sur les taches de couleurs vives, les pleins et les vides, les effets de diagonales et de perspectives, de mouvement et d'immobilité, la Dame en bleu devant une glace synthétise subtilement toute la peinture européenne du XXe siècle naissant. Sans quitter la quiétude d'un salon flamand. Un tableau d'un parfait inachèvement.
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