Maxime Delcourt
18 January 2023
Eventail.be – La sortie de votre dernier EP, (Got) Eveything To Shine, vient conclure une trilogie entamée en 2018. Comment jugez-vous l’évolution de votre projet ces cinq dernières années ?
Junior Bokele – Il y a eu pas mal de hauts et de bas, notamment à cause du Covid qui a ralenti la cadence des sorties et des concerts. Je dois aussi reconnaître que j’aborde à présent la musique d’un point de vue différent. Après plusieurs années de recherches par rapport à mes influences, j’ai pu affiner le propos, développer une musique qui se nourrit de mes références (soul, jazz, rumba congolaise) tout en proposant des mélodies qui s’écoutent facilement. C’est tout l’intérêt de ce nouvel EP : mettre en son des émotions très simples, directes, qui peuvent permettre aux gens de se connecter facilement à ma musique.
© Nicolas Jaumain
– Une chanson comme « Lightness » parle ouvertement de dépression. À quelles difficultés se confronte-t-on lorsqu’on en est encore un jeune artiste qui tente de faire connaître sa musique ?
– Les difficultés sont essentiellement financières : ce n’est pas tout d’avoir une idée, il faut trouver les musiciens pour lui donner vie, finaliser un disque qui soit commercialisable, monter une tournée, etc. Ma chance, toutefois, c’est d’avoir créé un studio avec des amis, ce qui me permet de composer librement, mais aussi d’avoir remporté le Concours Circuit (retrouvez ici notre article sur ce concours si important pour les jeunes formations belges) en 2018, ce qui a clairement mis mon projet en avant. Et puis, il faut le dire, contrairement à d’autres groupes jazz venus de Belgique, j’ai la particularité de chanter. Indéniablement, le fait qu’il y ait une voix aide à singulariser ma musique et à toucher différents types de public. Par exemple, je suis autant programmé par des salles jazz que des lieux dédiés à la pop ou aux musiques alternatives.
– À l’écoute de (Got) Eveything To Shine, on entend clairement l’influence d’une scène jazz anglaise très active ces dix dernières années… C’est voulu ?
– J’ai vécu en Angleterre quelques années. C’est là-bas que j’ai compris cette idée de mélange, là-bas que j’ai compris que je pouvais accepter l’inédit, que la différence était une force. En Belgique, c’est parfois plus facile de s’inscrire dans la même veine que d’autres groupes, dans le sens où ça donne un cadre, un repère… En Angleterre, à l’inverse, j’ai compris que j’avais le droit d’intégrer de nouvelles musiques dans mon univers, que je pouvais les reformuler à ma façon. Ces influences que l’on entend sont donc réelles : elles m’incitent à aller vers propositions différentes, à m’amuser.
– Au-delà de la mélodie, votre musique est également intéressante sur le fond. Êtes-vous du genre à vous interdire un mot, car trop prévisible, trop entendu ou trop connoté ?
– Disons que si je chante en anglais, ce n’est en aucun cas pour brouiller les pistes ou écrire des textes lambda. Je recherche les double-sens, les sous-textes, les réponses à des questions existentielles : qu’est-ce qui fait que l’on est humain ? Pourquoi est-ce que l’on agit ainsi ? L’être humain me fascine… En revanche, je n’aime pas expliquer mes paroles. Après tout, lorsqu’on va au musée, il n’y a pas de texte pour nous expliquer ce que le peintre a voulu dire. Libre à chacun de comprendre le tableau par rapport à son expérience ou son rapport à l’art.
– D’où, j’imagine, ce nom de scène, qui laisse libre cours à l’interprétation…
– Saudade, pour moi, c’est une nostalgie heureuse, une émotion, un sentiment mélancolique, mais c’est vrai que ce mot n’a pas une définition claire et nette. L’interprétation de ce terme est propre à chacun, et j’aimais l’idée de me le rapproprier pour nommer mon projet. Ça faisait écho à ma démarche, très clairement basée sur l’émotion.
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