Christophe Vachaudez
27 November 2020
En prenant cette décision, le Prince marchait sur les traces de ses ancêtres qui furent certes d'éminents collectionneurs mais aussi des mécènes souhaitant partager avec les autres les œuvres qu'ils ne cessaient d'acquérir. C'est ainsi que la princesse Isabelle Czartoryska décida d'exposer tableaux et antiquités dans un musée ouvert au public mais aussi d'établir une Fondation afin de rendre l'ensemble indivisible.
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Le prince Adam descend en ligne directe de cette illustre précurseur mais aussi de Konstantyn, un des douze fils du grand-duc Olgierd qui gouvernait la Lituanie au milieu du XIVe siècle. Un de ses autres fils, Jogaila initia la dynastie royale des Jagellon en épousant la princesse Hedwige de Pologne. Quelques siècles plus tard, le prince Adam (1770-1823) s'unit à sa cousine Isabella Flemming (1746-1835). Cette dernière dont la devise est Le passé pour le futur souhaite créer un Temple à la Mémoire en rassemblant des objets d'intérêt historique ou artistique. Elle rassemble ainsi les trophées commémorant la victoire sur les Turcs au terme du siège de Vienne de 1683 et rachète des trésors autrefois au château royal ou à la cathédrale de Wawel à Cracovie. Elle acquiert aussi la bibliothèque des ducs de Brabant et des reliques à caractère romantique comme un fragment de la chaise de Shakespeare, un autre de la tombe de Romeo et Juliette, les cendres du Cid et de Chimène cédées par la cathédrale de Burgos ou des souvenirs d'Héloïse et Abélard.
Son fils Adam qui est nommé par le tsar Paul Ier, ambassadeur de Russie auprès du roi de Sardaigne, se rend en Italie en 1798 et tue son ennui en visitant les antiquaires. Bientôt, il fait expédier en Pologne La Dame à l'hermine, de Leonard de Vinci, un Portrait d'homme du à Raphael et nombre d'antiquités romaines. Condamné à mort par les Russes après l'insurrection de 1830, il s'exile à Paris où il achète bientôt le célèbre hôtel Lambert sur l'île de la Cité. Toutes les œuvres du premier musée y prennent place.
Son plus jeune fils, Wladislas, lui succédera et continuera la collection en achetant des vases étrusques et grecs, de l'art égyptien, des armes ou encore des émaux de Limoges. En 1871, il peut rentrer au pays et fait installer l'ensemble dans l'ancien arsenal avant de rouvrir le musée Czartoryski de Cracovie qui est rénové par le gendre de Viollet-le-Duc, Maurice Ouradou.
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Le Prince meurt en 1894. Son fils Adam reprend la succession aidé par sa mère la princesse Marguerite d'Orléans, une petite-fille de Louis-Philippe. Il poursuit la tradition familiale et voyage au Japon d'où il ramène une multitude d'objets. Durant la guerre, il combat dans les rangs de l'armée autrichienne pendant que son épouse, née comtesse Maria-Ludovica Krasinska, fait transporter les oeuvres d'art en sûreté à Dresde. Elles ne reviennent en Pologne qu'en 1920. En 1939, elles seront à nouveau emballées dans seize caisses qui partent pour la campagne afin d'y être emmurées dans un des châteaux ancestraux.
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Le reste, entreposé dans les caves, sera vendu par les nazis. Le prince Auguste, fils du précédent, a récupéré les coffres et il décide de les dissimuler ailleurs. Mal lui en prend car les nazis les interceptent et les réservent à la collection du Führer qui va être concentrée à Linz. Finalement, ils sont acheminés à Berlin puis au château de Wawel pour le Dr Hans Frank, ami d'Hitler. Lors de l'évacuation, il fuira en emportant les peintures qu'il garde chez lui, en Bavière. Plus tard, les oeuvres réintègrent Cracovie mais il en manque 843, dont le portrait par Raphael.
Sans subside, le musée vivote avant d'être retourné en 1991, par décision de la Cour Suprême, à son propriétaire de plein droit, le prince Adam Czartoryski. Fils du prince Auguste et de la princesse Maria-Dolores de Bourbon-Siciles, ce cousin germain du roi Juan-Carlos d'Espagne est né à Séville le 2 janvier 1940 et a passé son enfance en Andalousie. Il ne découvrira son pays d'origine qu'après la chute du rideau de fer en 1989. Deux ans plus tard, Adam Czartoryski qui est aussi vice-président de la Fédération mondiale et de l'Union européenne de karaté jette les bases d'une Fondation, un geste qu'il lui vaut d'être décoré de l'Ordre Polonia Restituta par le président Lech Walesa.
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Depuis lors, grâce à de sérieuses investigations, le musée a pu retrouver en 1997, le fameux tapis polonais, des tissus islamiques en 2002 et, en 2004, un reliquaire du XVe siècle. Le prince Adam consent à faire tourner la collection qui est exposée à l'étranger, aussi bien en Europe, à Londres, Madrid, Milan, Florence, Rome ou Stockholm, qu'au Japon ou aux États-Unis, à Milwaukee, à Washington, à Houston et à San Francisco.
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Plus récemment, il a longuement réfléchi afin de trouver la meilleure solution pour pérenniser ce fabuleux trésor. Et si les statuts originels de la Fondation stipulent qu'elle n'est ni transférable et non divisible, il a tenu à faire apporter des modifications afin de pouvoir poursuivre son dessein. L'initiative qui a provoqué la démission du conseil d'administration dans son entièreté a abouti, en décembre 2016, sur la signature d'un accord entre le ministre de la culture polonais Piotr Glinki et Adam Czartoryski officialisant la cession de la collection d'œuvres d'art pour cent millions d'euros, une somme dérisoire puisque la collection avait été évaluée au bas mot à près de deux milliards. Il s'agit presque d'une donation quand on sait qu'on y trouve 86.000 objets dont un Rembrandt (Le paysage avec le bon samaritain), un Luca Giordano, un Brueghel le Jeune, des Renoir ou la Dame à l'Hermine de Léonard de Vinci. Á cela s'ajoutent 250.000 manuscrits et des dessins dont certains de la main de grands maîtres comme Albrecht Dürer.
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Á titre de comparaison, le Salvador Mundi de Léonard de Vinci s'est récemment vendu 450 millions de dollars ! Si la collection demeure exposée au Musée d'art de Cracovie, La Dame à l'Hermine devrait rejoindre le palais royal de Wawel. L'État polonais devient aussi récipiendaire des hypothétiques œuvres retrouvées, dont le Portrait d'homme de Raphael, toujours dans la nature.
Générosité pour les uns, dilapidation inconsciente pour les autres, cette opération a depuis fait couler beaucoup d'encre en Pologne, parfois instrumentalisée dans un débat politique entre extrêmes et modérés. Le prince persiste mais rechigne à s'exprimer sur ce qu'il considère comme une étape ultime dans la tradition du mécénat familial, une décision que conteste fortement sa fille qui l'a assigné en justice.
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