Christophe Vachaudez
26 September 2018
Il est vrai que nombre de joyaux proviennent directement de l'écrin de la reine Marie-Antoinette, une provenance presque miraculeuse. Certains ne manqueront pas de s'en étonner. Et pourtant, l'infortunée souveraine avait soigneusement empaqueté ses bijoux avant la fuite de Varennes et les avait expédiés chez sa soeur l'archiduchesse Marie-Christine, alors gouvernante des Pays-Bas.
© Courtesy of Sotheby's |
Acheminés à Vienne par le comte de Mercy-Argenteau, ancien ambassadeur d'Autriche à Paris, les précieux colis furent préservés et rendus quelques années plus tard à la princesse Marie-Thérèse, rescapée de la terreur révolutionnaire, quand la fille des souverains guillotinés trouva refuge chez l'empereur Joseph II et put prendre possessions des perles, des rubis et diamants de sa défunte mère. La jeune fille qui avait épousé le duc d'Angoulême, son cousin germain, n'eut pas de descendance.
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Á sa mort, de nouveau sur la route de l'exil, celle qui se faisait appeler la comtesse de Marnes fit diviser son écrin en trois parts, l'une destinée à sa nièce Louise, duchesse de Parme, fille des ducs de Berry, une autre à son neveu Henri, comte de Chambord, et encore une autre à l'épouse de ce dernier, l'archiduchesse Marie-Thérèse d'Este-Modène. Une perle poire suspendue à un noeud de diamants, des boucles d'oreilles et un somptueux collier de trois rangs de perles, porté pour la dernière fois lors du mariage du prince Felipe d'Espagne et de Letizia Ortiz, provenaient de cet héritage, tout comme des diamants, sertis dans une broche de corsage.
© Courtesy of Sotheby's |
Les comtes de Chambord moururent sans enfants et léguèrent une partie de leurs bijoux à leur neveu Robert, fils de Louise. Ce dernier reçut également la part de son frère Henri qui, lui aussi décéda sans descendance. Á la disparition du duc Robert, en 1907, la collection brillait par son opulence.
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De sa première épouse la princesse Maria-Pia de Bourbon-Siciles, il avait eu douze enfants mais certains, de santé fragile, ne pouvaient relever la succession. Ils furent mis sous la tutelle du prince Élie qui, âgé de 27 ans au décès de son père, est chargé de gérer le patrimoine qui comprend notamment des propriétés en Italien, en Autriche et en France. Les bijoux, déposés au Grand Maréchalat de la cour impériale, sont inventoriés et mis à sa disposition. On trouve l'ordre de la Toison d'Or et la plaque de l'Ordre du Saint-Esprit du duc d'Angoulême mais aussi deux plaques de l'Ordre du Saint-Esprit provenant du roi Charles X et de la succession du comte de Chambord.
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Si l'une d'elles fut vendue, l'autre fut dépouillée de ses diamants pour créer, en 1912, un remarquable diadème de fleurs de lys pour l'archiduchesse Marie-Anne. Au fil de la longue liste, d'autres pièces s'imposent comme une importante rivière de chatons réalisée grâce aux diamants de la garde d'une épée d'apparat du duc de Berry, mais aussi des boucles d'oreilles girandole et une broche en brillants ayant appartenu au duc de Parme Charles III, et à son épouse la princesse Marie-Thérèse de Savoie. En 1903, le prince Élie convole avec l'archiduchesse Marie-Anne d'Autriche, fille de l'archiduc Frédéric, duc de Teschen, et de son épouse la princesse Isabelle de Croÿ, plus connue des siens sous le surnom de Busabella. Ce mariage va considérablement enrichir la collection. En outre, la nouvelle princesse de Parme est la filleule de l'impératrice d'Autriche, Marie-Anne, veuve de Ferdinand Ier. Sa marraine lui lègue d'ailleurs une ravissante paire de bracelets en perles au fermoir à tête de serpent. La princesse Élie est aussi la nièce de la reine Marie-Christine d'Espagne qui lui envoie un bracelet serti de saphirs pour la naissance de la princesse Marie-Christine, sa filleule, à qui elle réservera un pendentif en diamants et rubis.
© Coll. Christophe |
Lors des noces princières, l'empereur François-Joseph offre à sa lointaine parente un diadème réalisé par la maison Köchert, un joaillier qui fournira d'autres cadeaux dont une broche en diamants offerte par l'archiduc Rainier. Enfin, l'archiduchesse Isabelle gratifie sa fille d'un saphir de Ceylan de 30,70 carats, une pierre d'une couleur exceptionnelle.
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Les naissances seront aussi l'occasion de présents significatifs comme ce noeud orné d'un rubis birman de près de 7 carats que l'archiduc Frédéric fait livrer à sa fille pour la naissance du prince Charles en 1905. De la succession de l'archiduchesse Isabelle, citons une fleur sertie d'un magnifique diamant jaune ou un noeud de corsage porté à Budapest lors du couronnement de l'empereur Charles comme roi de Hongrie en 1916.
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Comme on peut le constater, la variété de l'ensemble est étonnante, préservée des guerres et des divisions successorales. Des huit enfants d'Élie et de Marie-Anne, seule la princesse Alice se mariera. Au fur et à mesure des décès, c'est Alice et Marie-Christine qui possèdent chacune une moitié de la collection. Elles sont les dernières aussi à se souvenir d'avoir assisté aux chasses de Chambord quand le château appartenait encore à leur père.
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Très affable, Marie-Christine vit à Vienne, dans un vaste appartement proche du Belvédère. Mélomane avertie, elle ne rate pour rien au monde le festival de Salzbourg où elle retrouve avec plaisir son amie la reine Sirikit. Cultivée, elle préserve l'héritage et porte les deux diadèmes proposés à la vente lors des grandes réceptions du gotha.
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Elle meurt en 2009. Sa soeur, Alice, s'est unie au prince Alfonso de Bourbon-Siciles en 1936 et a eu trois enfants : Carlos, Ines et Maria Teresa. Elle habite l'Espagne et s'intéresse essentiellement à la chasse et aux chiens, et très peu à l'histoire familiale, un trait hérité par sa descendance. Si elle a privilégié ses filles, évitant soigneusement de mettre ses bijoux à la disposition de sa bru, la princesse Anne d'Orléans, elle n'aura pu éviter cette dispersion qui lève un coin du voile sur ce trésor dont seuls quelques spécialistes connaissaient l'existence... une incursion historique de tout premier ordre qui laisse présager des records !
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