Éric Jansen
17 October 2023
Il parle aussi vite qu’il enchaîne les projets, à tel point qu’il est parfois difficile à suivre. Mais Hugo Toro semble avoir en lui un bouillonnement créatif qui l’oblige à ce rythme. Il rentre de New York où il a décoré le salon de la Villa Albertine. Un appel d’offres de l’ambassade de France et du Mobilier national qu’il a remporté devant 200 candidats. Ses dessins et son univers ont fait la différence. “Je suis parti d’un poème de Helen Hay Whitney qui a habité cette maison. Elle était sculptrice et poétesse. J’ai décliné un mobilier autour du thème des nénuphars qu’elle évoque dans ses vers…”
© Stephan Julliard
Raconter une histoire. Cela pourrait être la devise de ce jeune architecte d’intérieur, âgé de trente-quatre ans, qui s’est lancé en 2016. À Londres, il vient de signer trois lieux spectaculaires dans la gare de St. Pancras : le Booking Office 1869, The Midland Grand Dining Room et le Gothic Bar. Deux restaurants et un bar où, là aussi, il entraîne le client dans un voyage loin de notre monde moderne et sans âme.
Une évocation de l’époque victorienne, dans le respect du bâtiment et de son style néo-gothique, qu’il magnifie, rend féerique et digne d’un décor de film, où Oscar Wilde croise Harry Potter, avec, quand on y regarde de plus près, des assises et des luminaires contemporains, mais qui s’intègrent parfaitement au cadre. Autre exemple de cet art de créer un univers romanesque où l’on se voit très bien écrire sa propre histoire, les restaurants Gigi que Hugo Toro a conçus à Paris, Ramatuelle, Val d’Isère et bientôt Dubaï, comme un hymne à la dolce vita. “Le concept ? La villa d’été d’un Italien.”
© Stephan Julliard
Bien sûr, quand il est question de restaurants ou d’hôtels, l’ambiance est primordiale et la décoration peut être flamboyante, évocatrice ou décalée, car au fond on n’y passe que peu de temps. Mais qu’en est-il pour un client privé ? Hugo Toro freine alors un peu sa main et trouve le juste compromis. “Je m’adapte toujours au contexte, c’est sans doute lié à mon histoire personnelle : ma mère est mexicaine, mon père français, j’ai habité en Autriche, en Australie, aux États-Unis…”
© Stephan Julliard
© Stephan Julliard
Exemple avec cet appartement de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, qu’il nous présente aujourd’hui. “C’est un intérieur pour un jeune célibataire, qui aime avoir des amis à dîner. J’ai donc imaginé une garçonnière un peu glamour, sophistiquée, mais aussi masculine, avec de belles pièces de réception. Tout le raffinement est dans les matériaux, la qualité des finitions.” Le ton est donné dès l’entrée habillée d’un cuir vert et dont le sol reprend le motif en chevrons d’un parquet point de Hongrie, typiquement parisien, à cette nuance près qu’ici, les lattes de bois ont été remplacées par du travertin rouge. “Plus sexy que les vieilles tomettes, non ?” Et parfaitement raccord avec le parquet du salon qui, lui, a été décapé. Quant aux boiseries, elles ont été peintes en blanc, avec un effet de texture, une patine qui oscille entre l’ocre et l’ivoire. “J’aime beaucoup les peintures décoratives.”
© Stephan Julliard
Plus étonnant encore, ce paravent qui cache l’entrée du salon, en panneaux rotatifs composés de travertin. “Je l’ai bien sûr dessiné, comme à peu près tout le reste : le canapé, le bureau, le tapis.” Sans parler de la cheminée sculpturale qu’on aperçoit dans la salle à manger. “Un mélange entre art précolombien et Carlos Scarpa”, glisse Hugo Toro dans un sourire. Elle voisine avec un canapé de Pierre Augustin Rose, une table de Garnier & Linker et des chaises de Willy Rizzo.
© Stephan Julliard
© Stephan Julliard
Car l’ancien étudiant de Penninghen, à la créativité débridée, sait aussi composer avec des pièces de designers actuels ou au contraire vintage, comme la table basse, la lampe et le tabouret chinés aux Puces de Saint-Ouen, ou l’illustre chaise-longue LC4 signée Le Corbusier-Jeanneret-Perriand qu’il twiste quand même, à sa façon, avec un velours de soie vert. “C’est un peu ma couleur fétiche.” Avec le bleu, dont il recouvre les murs du salon TV et qu’il associe à un canapé “pêche Bellini délavée”, du plus bel effet.
© Stephan Julliard
© Stephan Julliard
Dans la chambre, même démonstration brillante de son trait de crayon avec un lit et des chevets en cuir qu’il a dessinés. Ils se marient parfaitement aux murs tapissés de feuille de bananier, créant ainsi une ambiance masculine, pour contrebalancer l’aspect doux et féminin du vitrail ancien qu’il n’était pas question de remplacer.
© Stephan Julliard
Dans la salle de bains, la rigueur des lignes et la noblesse du marbre évoquent aussi l’intérieur d’un esthète. Mais le calepinage du sol, bien sûr imaginé par Hugo Toro, et cette association de marbres et de bois vernis font brusquement penser à l’Italie, comme un parfum milanais.
Et à la réflexion, c’est vrai qu’il flotte dans l’air depuis l’entrée… Quand on lui en fait la remarque, l’amoureux de Carlo Scarpa, de Gabriella Crespi, de la villa Necchi Campiglio en convient : l’Italie des années 1960 nourrit son imaginaire. “Mais j’aime aussi les États-Unis à la même époque, j’ai fait un appartement en m’inspirant du film $A Single Man$ de Tom Ford. En fait, j’aime les intérieurs scénographiés, les ambiances cinématographiques.” Curieusement, c’est à Rome qu’il fera son prochain décor avec le premier hôtel Orient-Express. Cent chambres dont il est en train d’écrire l’histoire. Hugo Toro est le scénariste d’une vie rêvée.
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