Bruno Colmant
12 May 2024
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
L’or possède des qualités intrinsèques, tels son inaltérabilité dans le temps et son volume réduit. De plus, les lingots étant désormais estampillés, les quantités d’or sont standardisées, en termes tant de pureté que de poids.
Un élément caractérise cependant le récent phénomène de thésaurisation. Dans le passé, l’or répondait à la défiance par rapport à la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire la monnaie papier, émise par les États. Aujourd’hui, le repli vers l’or consacre des craintes par rapport à la monnaie électronique, c’est-à-dire face aux risques bancaires systémiques, et à l’inflation. Des pressions inflationnistes pourraient, en effet, être entraînées par les liquidités injectées dans le système bancaire et les déficits publics créés par les plans de relance. Dans cette perspective, l’or constitue un refuge naturel contre l’érosion monétaire.
Ce fut le cas au cours des grandes crises monétaires, telles celle des assignats français de la Révolution française ou celle de l’hyperinflation qui a traversé l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. Au reste, les systèmes monétaires les plus stables et pérennes furent, pendant très longtemps, les monnaies convertissables en or, tel le franc-or (ou franc germinal), créé en 1803 et qui subsista jusqu’en 1928. Le système de Bretton Woods, imaginé en 1944, postulait également la convertibilité des principales devises en or, jusqu’à son abandon par le président américain Richard Nixon en 1971. En 1976, les accords de Kingston, à la Jamaïque, confirmèrent l’abandon du rôle légal international de l’or.
Mais, ce qui est troublant, c’est qu’au cours de l’histoire, l’or fut un refuge métallique autant pour les épargnants que pour les institutions chargées d’assurer la confiance monétaire. En d’autres termes, les États tirèrent parfois eux-mêmes grand profit d’étalon-or, et ceci au détriment de leurs propres citoyens.
L’histoire de la finance abonde en illustrations d’États faux-monnayeurs, raison pour laquelle le privilège de battre monnaie était réservé aux rois. À Athènes, par exemple, la valeur faciale des pièces de monnaie était supérieure à leur coût de production. Le roi de Lydie (territoire situé à l’ouest de la Turquie), Crésus (v. 596-547 av. J.-C.), avait mis en circulation des pièces de monnaie contenant seulement 54% d’or, et non les 70% promis.
Plus tard, au Moyen Âge, Philippe IV dit “le Bel” (1268-1314) fut sans doute l’un des plus célèbres escrocs de la famille capétienne. Traité de faux-monnayeur par le pape Boniface VIII, il modifiait les parités monétaires au gré de ses besoins personnels. Le Roi modifia même la composition des pièces d’argent, remplaçant le précieux métal par du billon (ou argent noir), un mélange d’argent, de cuivre et de plomb. Le Souverain dut d’ailleurs faire face à de sévères rébellions qu’il réprima férocement. Acculé financièrement, Philippe le Bel obtint l’accord du Pape Clément V pour déclarer les Templiers hérétiques afin de s’emparer de leurs biens.
Huit siècles plus tard, on cherche toujours le Trésor des Templiers. En revanche, toutes les communautés gardent les mêmes réflexes en cas de perte de confiance, se précipitant vers les repères métalliques lorsque les jalons monétaires deviennent flous. Les injections de liquidité, plans de relance et déficits budgétaires auront un prix, un jour. C’est sans doute ce qui explique le réflexe aurifère. En outre, à l’approche des élections américaines, le risque sur le dollar lié à l’élection plausible de personnalités controversées telles que Donald Trump peut être couvert par le recours à l’or. Il n’est pas exclu que Trump, dont l’objectif répété est de dépouiller la Réserve fédérale de son indépendance, décide s’il est élu, de déprécier fortement le dollar afin de renverser des dynamiques économiques. Il s’agirait de développer le potentiel d’exportation des États-Unis tout en pénalisant les importations américaines, qui seront elles-mêmes assorties de droits de douane fortement augmentés.
Comment procéder à un sabordage qui s’inscrirait dans ce qui est qualifié de “guerre des monnaies” ? Comme les dollars américains détenus hors des États-Unis ne sont pas des dollars émis par la Réserve fédérale, mais font l’objet d’échanges entre les banques centrales, un dépôt en dollar effectué par un citoyen européen auprès d’une banque européenne est, en réalité, un dépôt en euro échangé par la BCE auprès de la Réserve fédérale américaine. S’il est mis fin à cet accord d’échange, le dollar s’écroule avec tout le système bancaire situé hors des États-Unis. Un tel acte s’assimilerait à ce que certains appellent une “militarisation” du dollar.
Cet effondrement n’est pas exclu puisque les États-Unis ont orchestré trois coups d’État monétaires depuis la création de la Réserve fédérale, en 1913. Le premier fut la dévaluation orchestrée par Franklin D. Roosevelt, président des États-Unis de 1933 à 1945. Dans le cadre de sa politique du New Deal pour combattre la Grande Dépression, il avait dévalué le dollar par rapport à l’or en 1933-1934. Le deuxième coup d’État monétaire eut lieu en 1971, lors de l’abandon des accords de Bretton Woods. Le troisième s’est manifesté par la vente massive de crédits immobiliers toxiques à des banques étrangères entre 2005 et 2008, jusqu’au krach bancaire de 2008, que l’on nomme rétrospectivement “la crise des subprimes”. Quels que soient les scénarios du futur, la prédominance du dollar est intenable. Et l’or restera un actif de référence.
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