Bruno Colmant
25 April 2022
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
2008 fut donc une véritable plongée dans l’économie de marché, au sein de laquelle les valeurs s’expriment non pas par le passé révolu, mais par l’avenir espéré. Et c’est pour cette raison que 2008 fut un choc sociétal : l’avenir devint indécis. Depuis cette année, l’économie subit les tumultes des chocs inattendus, à commencer par une pandémie, terme qui semblait appartenir au Moyen Âge.
Le contexte économique est déflationniste. Un grand nombre d’indices convergent dans le sens d’une croissance atone : moindre croissance en Chine, amplification modeste aux États-Unis et tassement en Europe. Cette déflation est d’ailleurs singulière : malgré les injections monétaires des principales banques centrales et d’une démographie expansive, l’économie mondiale peine à retrouver un rythme soutenu. Concomitamment, les taux d’intérêt restent homéopathiques, au grand bénéfice des États surendettés.
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Le scénario intuitif de l’économie européenne que je retiens pour l’horizon du moyen terme est celui de la stagflation, c’est-à-dire une combinaison de stagnation économique, affectée d’un chômage persistant et d’inflation. Quels seraient les attributs de cette empreinte de stagflation ? Outre les aspects de solvabilité étatique, ils sont les mêmes que le constat des années 1970 : un taux de croissance faible de l’économie, combiné à une décroissance marginale, des gains de productivité, un chômage structurel élevé (caractéristique des dislocations structurelles de l’économie), une sous-utilisation des capacités de production, des anticipations de bénéfices des entreprises faibles (à tout le moins dans une perspective de moyen terme), des dépenses d’investissement faibles à modérées, des déficits publics importants ainsi qu’une raréfaction du crédit bancaire pour des investissements privés, des déficits de la balance commerciale et un phénomène généralisé de désindustrialisation.
Ce sont les États qui sauvèrent l’économie privée, comme en 2008. Ces mêmes États sont aujourd’hui écartelés entre des engagements sociaux non financés et les exigences d’une population vieillissante, donc dépendante. Et voilà que l’inflation, oubliée depuis quarante ans, vient nous hanter. Elle entraînera, en 2022, une perte de pouvoir d’achat des ménages de la classe moyenne de l’ordre de 5 %. C’est énorme. C’est trop pour beaucoup. Et personne ne pourra rien faire pour la dompter.
L’inflation n’est aucunement une solution souhaitable, puisqu’elle fait peser un risque d’auto-alimentation et d’augmentation nominale des dépenses de l’État. Mais elle paraît s’imposer comme une conséquence inéluctable – voire un débouché – de l’endettement public et des phénomènes que nous constatons (augmentation des dépenses publiques, guerre en Ukraine). Bien sûr, l’inflation appauvrit le rentier, d’autant que l’épargne est investie en titres à revenus fixes. Mais, comme l’avançait Keynes (1883-1946), il est “plus grave, dans un monde appauvri, de provoquer le chômage que de décevoir le rentier”. Les années à venir combineront les deux maux.
Alors, les États continueront à augmenter leurs dettes publiques qu’une bienveillante banque centrale refinancera. Au risque d’alimenter cette inflation. Et de nous faire pénétrer dans ce labyrinthe qu’on appelle la stagflation. Et comme disait Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, le meilleur moyen de sortir d’une stagflation, c’est de ne pas y entrer… mais c’est probablement trop tard.
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