Bruno Colmant
13 October 2022
Le professeur Dr. Bruno Colmant est membre de l’Académie royale de Belgique. © DR
Les plus âgés se souviennent aussi de René Dumont (1904-2001), auteur du livre prophétique L’Utopie ou la mort (que j’avais dû lire en 1976 à l’instigation d’un de mes professeurs plus visionnaires – qui se sait remercié). Candidat écologiste à l’élection présidentielle française de 1974, René Dumont sensibilisait les spectateurs au gaspillage et affirmait, face à la caméra : “Nous allons bientôt manquer de l’eau et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse, puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera”. Il prévoyait que l’eau potable manquerait en 2050, même si on supprimait les gaspillages. Et aujourd’hui, plusieurs études supputent que l’eau de pluie n’est plus potable. Dumont avait aussi précisé, dès 1974, que l’accroissement en CO2 constitue la plus grave menace pour l’espèce humaine. Optimiste et désespéré, l’homme prophétisait l’utopie et plaidait le “moins avoir et plus être” dans une société qu’il espérait plaisante, détendue et sereine.
Un an plus tôt sortait le film de fiction dystopique Soleil vert décrivant l’année 2022 (!) où les océans sont mourants et la canicule présente toute l’année en raison de l’effet de serre, conduisant à l’épuisement des ressources naturelles, à la pollution, à la pauvreté et à la surpopulation. Tout ceci fut occulté par la plongée dans le néolibéralisme du début des années 1980.
C’est dans cette perspective qu’il faut redécouvrir les recherches d’Elinor Ostrom (1933-2012, récipiendaire du prix Nobel d’économie en 2009) qui a étudié le dilemme social, c’est-à-dire les situations où la quête de l’intérêt personnel induit un résultat plus négatif pour toutes et tous que celui résultant d’un autre type de comportement. La politologue et économiste américaine établit des principes nécessaires à la gestion des biens communs par un groupe, en les étudiant particulièrement dans la gestion des ressources naturelles et communes (eau, bois, pêcheries).
Les problèmes climatiques vont donc certainement devoir conduire à s’extraire de la vision néolibérale et anglo-saxonne de l’économie de marché, voire à repenser les fonctions de la monnaie, dans le sens d’une gestion plus collectiviste.
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Faut-il alors plaider pour la décroissance ? Longtemps, j’ai combattu cette idée. Aujourd’hui, je crois qu’un débat citoyen est nécessaire. Il y a deux thèses qui s’opposent : celle de la décroissance qui postule que la baisse du PIB est une condition indissociable de la promotion d’un monde décarboné, et, à l’opposé, celle qui avance que la révolution climatique sera technologique dans la croissance. Il est évident que les promoteurs de l’économie de marché réfutent cette décroissance, puisque la valeur est formée sur un postulat de croissance. La décroissance serait un choc de compétitivité négatif. La troisième voie est peut-être de combiner une moindre croissance de capitalisme d’accumulation, une taxation du carbone et la promotion de la recherche. In medio stat virtus (la vertu réside dans le juste milieu – NDLR). Mais je crains que l’ambiguïté, voire l’hypocrisie, des tribuns politiques ne conduise à promouvoir la croissance verte sans la définir, comme prétexte à l’évitement d’une confrontation à un débat citoyen.
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